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CELA COMMENCE AINSI
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traduit par GABRIEL AROUT
LES EDITIONS DE MINUIT (1967)
Cela commence ainsi, vers l'âge de deux ans.
De sa nourrice on glisse aux mélodies
Obscures : gazouillis, sifflets.... Enfin les mots
Viennent à la troisième année de vie.
Et c'est ainsi que naît la réflexion,
Dans le vacarme des turbines en action,
Tout est douteux et tout est confusion,
Ta mère, toi-même, ta maison.
Et que vient faire la beauté terrible
Des lilas blancs envahissant le banc ?
Si ce n'est, pour de bon, enlever des enfants ?
Et c'est ainsi que naissent les soupçons.
Et c'est ainsi que mûrissent les craintes.
Trop haute, l'étoile pour ma panoplie
Quel pas du gay savoir à la folie ?
Et c'est ainsi que l'on passe aux tziganes.
Par-dessus les clôtures, tu enjambes :
Pas de maisons --- tu découvres l'écume
Des mers, en un soupir et t'accoutumes
Au rythme dur et solennel des iambes.
Les nuits d'été, vautré dans les avoines,
Face contre terre on prie : que s'accomplisse ! .....
On menace l'aube d'un oeil irrité
Et l'on querelle le soleil, comme un complice.
C'est ainsi qu'on se prend à vivre par le vers.
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A LA MEMOIRE DU DEMON
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traduit par GABRIEL AROUT
LES EDITIONS DE MINUIT (1967)
Cette légende caucasienne des amours
de Thamar et du Démon a été immortalisée
en Russie par Lermontov dans son
poème << Le Démon >>
Il venait à la nuit
Dans le bleu des glaciers
Loin des bras de Thamar.
De ses ailes il marquait
Où devait commencer et mugir,
Où finir
Le cauchemar.
Sans sanglots, sans cacher
De ses ailes
Meurtries, flagellées,
Les blessures anciennes....
Et témoin,
Une dalle est restée
Dans l'enceinte
De l'église géorgienne.
Et son ombre jamais
Ne dansait
Comme un monstre bossu
Sous la grille.
Près d'une douce lumière
Une zourna
N'évoquait plus jamais
La princesse
Dans ses trilles.
Des éclairs crépitaient
Comme un feu de phosphore
Dans ses boucles épaisses.
Le colosse ignorait
Qu'au dehors
Le Caucase grisonnait
De tristesse.
A un pas de la fenêtre,
Caressant les bouclettes
Du burnous, il rêvait de revanche....
Par les glaces des sommets
Adjurait :
<< Dors, amie, dors, un jour
Je serai de retour
Dans un bruit d'avalanche. >>
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EMEUTE EN MER
( Cuirassé << Potemkine >> )
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traduit par GABRIEL AROUT
LES EDITIONS DE MINUIT (1967)
Tout nous lasse à la fin,
Mais jamais ton éclat ne saurait nous blaser.
Les jours passent,
Des années, des années, par milliers de milliers.
Te voilant dans l'ardeur écumante des flots,
A l'image,
De ces blancs acacias, épicés,
Terrassés par l'orage.
N'est-ce pas toi,
N"est-ce pas toi,
Océan,
Qui les mène au néant ?
Sur un tas de filets, de filins
Tu ronronnes,
Bavard comme une source.
Et ton flot, comme une mèche folâtre
Sur l'oreille palpite
Et chatouille la poupe.
Chez les gosses,
En visite,
Tu te plies
A leur jeux enfantins.
Mais par quelle tempête inouîe
Tu réponds et te lèves,
Colosse.
Quand rugissent et t'appellent,
Te rappellent
Chez toi les lointains.
Large antédiluvien,
Et ce flux déchaîné,
Qui s'enrage d'écume et s'enroue;
Qui s'ébroue, infernal et se heurte de ses vagues
Aux barrages, par paliers,
Puis s'écarte et s'éloigne,
Et rugit, et périt à sa guise,
Et se roule comme un porc dans les algues
Et se brise aux piliers.
La violence du prisme
Aux couleurs mélangées,
Interdit la fadeur de ces voiles,
Qui se fondent et s'effacent....
Et voici la muraille du grain.
Et le ciel qui descend, qui descend,
Se renverse de biais, et culbute,
Et s'étale,
Cascadant de mouettes,
Et touchant dans sa chute
Le fond.
Par la nuit galvanique,
Où se rue des nuages hérissés la débâcle,
Maladroits
Dandinant et rampant,
Les navires regagnent le port.
Les éclairs aux pieds bleus
Bondissantes grenouilles dans leur mare.
Et les mâts sont de grands échassiers
Qui s'en vont ballottés bord sur bord.
Tout penchait à ronfler,
Et les crabes grouillaient,
Et les vagues,
Vers le coeur alourdi du soleil
Inclinaient leurs pétales de fleurs.
Et la mer ronronnait,
A un mile et demi de la côte,
Parsemant le flanc gris du vaisseau
D'une poussière de taches
Orangées.
Le soleil s'est couché.
<< Potemkine >> scintilla de lumière.
Et soudain,
Dans le cercle électrique
Des myriades de mouches ont volé,
Tours sur tours,
Vers les soutes,
Attirées par l'odeur de la viande avariée....
Et la nuit est tombée sur la mer.
Les lumières clignaient
Jusqu'au jour.
Les risées du matin
Ont glissé,
Comme des lames de mercure,
Sur la quille
Du géant.
Et d'en haut les fixant,
Le navire reprit
Souffle et vie.
On chanta la prière du matin.
Puis on vint aux travaux du ménage,
Balayage, astiquage
Des ponts, des canons,
Révision du blindage.
Mais personne au repas
Ne s'était approché des marmites.
En silence on mangeait lentement
Du pain sec et de l'eau.
Quand soudain, une voix :
<< A vos rangs de combat,
Tous en haut,
Sortez vite ! >>
Et quelqu'un en tenue se dressa
Sur le gaillard d'arrière,
Et hurla : << Garde à vous ! >>
Ecumant de colère,
Menaçant
Les sept cents.
<< On se plaint ? C'est parfait,
Ceux qui veulent manger, aux marmites !
Et les autres --- pendus sur la hune !
Allons, avancez ! >>
Les marins demeuraient ahuris,
Et soudain, de la poupe
Refluèrent aux tourelles.
<< Halte-là, ça suffit, halte-là !
Halte-là ! >>
S'écriait stupéfait
Cet apôtre bestial de la soupe.
Quelques-uns ont flanché,
Leur coupant la retraite,
Il cria : << Une émeute ?
Quartier-maître, des bâches
Et qu'on fasse encercler ces bandits ! >>
Et les autres, en foule,
Entassés à l'abri des tourelles,
Attendaient le supplice des copains
Et restaient interdits.
Et leur coeur battait fort.
L'un d'entre eux,
Ne pouvant supporter sa souffrance,
S'écria, secouant sa tignasse :
<< Frères quoi ! Allons-nous les laisser ?
A vos armes, abattons ces salauds !
Liberté et justice ! >>
Et le bruit de l'acier et des pas
Résonna sur le pont du vaisseau.
La révolte vola,
Frémissante,
Jusqu'au mât de misaine.
Et, poussée par le vent,
Comme une arche de feu
Retombait ça et là.
<< Allons-nous les poursuivre
De coursive en coursive
Ces gredins, halte-là ! >>
Trah tah tah !
Comme un coup de pinceau
Sur la cible, en courant,
Une salve éclata.
Trah tah tha !
Et les balles sautaient,
Sur les ponts, sur les vagues,
Trah tah tah !
Sur les flots,
Sur les corps des nageurs,
Trah tah tah ! ....
<< --- Tiens, il est encore là !
Ah ! les plaintes te mettent en rage ?
Prenez-le par les pieds,
Et hop-là !
Va gagnez Port-Arthur à la nage ! >>
Mais les gars des machines
Ignoraient les hasards de la lutte.
Lorsqu'une ombre ternit
Des chaudières
Les cuivres ardents.
Le géant Matiouchenco
Marchait sur la grille, au-dessus des turbines,
Et, courbé
Au-dessus de l'enfer,
S'écria :
<< Hé, Stépan, on les a ! >>
Et le chef mécano
Se dressa.
Les deux gars s'étreignirent.
--- Essayons de marcher sans nourrice.
--- T'en fais pas.
Ils sont là, bien gardés.
Quant aux autres, une balle dans la peau
Et adieu, va nager sous l'hélice.....
Mais dis-moi vieux copain,
Que vaut-il le second officier mécano ?
---- C'est un bon
---- Ca va bien.
Envoie-le tout à l'heure sur le pont.
Et le jour s'est passé.
Puis la nuit,
A l'aurore, dans un voile de brume,
Porte-voix à la main,
Un marin donna l'ordre aux marins :
<< Levez l'ancre ! >>
Et le bruit de sa voix se glissa,
Se perdit
Dans la cime
Du nuage.
Lentement, lourdement, le vaisseau prit le cap d'Odessa.
Il filait, engagé
Dans la ligne sévère des côtes,
Et sa coque éclatait au soleil
Comme un point orangé.
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AUX CALOMNIATEURS
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traduit par GABRIEL AROUT
LES EDITIONS DE MINUIT (1967)
Enfance, coupe à la source de l'âme,
Aborigène de toutes les forêts,
Dans l'amour-propre, enracinant ta trame
Toi qui m'inspires et me régentes à ton gré
Combien de larmes ont séché aux vitres,
De guêpes mortes, et de roses thé,
Combien de fois le chaos anthracite,
Fougère pourpre, au ciel s'est projeté.
Et tous ces osselets, scellés en rangs
Et noirs et secs, des claviers délirants
Errants, au gré de tristes insomnies,
Prêts à tirer raison des calomnies,
Tout ment. Et l'authenticité de la misère
Et la proximité des riches possédants,
Derrière la porte du propriétaire,
Le cliquetis joyeux des chefs ----- tout ment !
Mensonge et calomnie, les gilets parfumés,
Les mains qu'on doit serrer à contre-coeur,
Contre-courant des cadeaux raffinés,
Les prophéties des chiromanciens-menteurs.
Mensonge, inanité des âges et des temps !
Jeunes ! ----- Qui sommes-nous, sinon des jeunes ?
Gauches ! ---- Sommes-nous pas les plus extrêmes ?
Nous maquillant et nous réajustant !
O soleil, entends-tu ? << Fais de l'argent ! >>
Tu rêves d'un sapin. On dit : << Va de l'avant. >>
O vie, notre nom et dégénérescence
En dépit de ton essence et de ton sens.
Duncan, roi des énigmes grises, au secours !
Quand confusion et profusion foisonnent,
Seigneur, Seigneur, souviens-toi à quel cours
Et à quel prix tu nous a livrés aux hommes ?
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MA SOEUR LA VIE
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traduit par GABRIEL AROUT
LES EDITIONS DE MINUIT (1967)
Ma soeur la vie, aujourd'hui tu débordes et tu cognes
A coups redoublés de la pluie de printemps
Mais les gens à breloques sont de haute-vergogne
Et blessent avec la politesse des serpents.
Ils ont pour cela des raisons de leur âge
Et moi je ne peux justifier mes raisons.
<< Les gazons et les yeux sont lilas à l'orage
Le réséda humide embaume l'horizon. >>
L'attrait qu'a pour moi l'almanach ferroviaire
Ne peut s'expliquer si l'on n'est envoûté.
Les Saintes Ecritures on bien moins de mystère
Que l'horaire des trains et bien moins de beauté.
Dans l'éclat du couchant, la bruyante affluence
Des femmes sur le quai, en troupeau bigarré,
Le soleil me sourit avec condoléance
Car il sait mon secret : ce n'est pas mon arrêt.
La cloche a sonné et se noie dans les ombres,
Gênée, elle aussi, de tromper mon espoir.
Sous les stores baissés glisse l'incadescence
De la nuit où la steppe prend élan jusqu'au ciel.
Des signes qui clignent, des yeux qui se ferment,
Douceur du sommeil et des contes de fée,
A l'heure ou le coeur au fracas des plates-formes
Eparpille dans la steppe ses portières de feu.
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HAMLET
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traduit par GABRIEL AROUT
LES EDITIONS DE MINUIT (1967)
La rumeur s'éteint. Au praticable,
Je me tiens, appuyé au portant,
Discernant mon sort inexorable
Dans l'écho, venu du fond des temps.
De l'obscurité aux mille lustres
Des jumelles sont braquées sur moi.
Si tu voulais bien, ô Père juste,
M'épargner la coupe cette fois.
J'aime ton idée, têtu et forte
Et j'accepte de tenir mon rôle
Mais, ce soir, la liberté m'importe
Car un autre drame a la parole.
Mais on a réglé l'ordre des scènes
Le chemin est sans retour, je sais.
Je me noie en cette boue pharisienne.
Une vie n'est pas un champ à traverser.
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LE JARDIN DE GETHSEMANI
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traduit par GABRIEL AROUT
LES EDITIONS DE MINUIT (1967)
A cet endroit, le coude de la route,
Qui ceinturait le Mont des Oliviers,
Sous la clarté distante de la voûte,
Surplombait le Kedron et sa vallée.
Là, brusquement, s'arrêtait la clairière.
La Voie Lactée y prenait son essor.
Les Oliviers secouant leur crinière
D'argent, tentaient d'enjamber le rebord.
Près du sommet, Il dit à ses disciples
Devant l'enceinte d'un jardin privé :
<< Mon âme souffre angoisse indicible.
Attendez-moi, veillez. Je vais prier. >>
Alors, il renonça, sans résistance,
Comme à des biens qu'on lui avait prêtés,
A ses pouvoirs, miracles et puissance,
Et redevint, pareil à nous, mortels.
Les grands espaces libres de la nuit
Lui paraissaient néfastes et déserts.
Seul ce jardin lui prêtait son abri
Contre l'hostilité de l'univers.
Les yeux sur ces sombres orbites,
Vide insondable sans début, ni fin,
Dans les sueurs d'une angoisse subite
Il implora son Père, mais en vain.
Par la prière, il apaisa ses doutes.
Quittant l'enceinte, il trouva sur le seuil,
Eparpillés dans l'herbe en bord de route,
Ses compagnons, accablés de sommeil.
<< Vous vous vautrez quand Dieu vous juge dignes
De partager mes jours et mes moments.
Le Fils de l'homme a reconnu le signe,
L'heure a sonné d'aller vers mes tourments. >>
Il dit ---- et aussitôt surgit la foule
D'esclaves, de soldats, de vagabonds.
Des torches s'agitaient sur cette houle.
Devant --- Judas et son baiser félon.
Pierre, aussitôt, fit face à la ruée,
Tranchant l'oreille d'un des agresseurs.
Sa voix lui dit : << Rengaine ton épée
On ne peut rien résoudre par le fer. >>
Sais-tu que si mon Père avait l'idée
De protéger son fils, tu aurais vu
Surgir soudain ses légions ailées
Pour disperser, sans traces, l'ennemi.
Le Livre de la Vie est à la page,
Où chaque ligne, écrite de sa main
Me communique son sacré message.
Qu'il s'accomplisse, je suis prêt. Amen.
Le temps des hommes passe par son crible
Et tout peut s'embraser dans son essor.
Et moi, au nom de sa grandeur terrible,
J'accepte les tortures et la mort.
Je descendrai au tombeau des mortels
Pour resurgir, après trois jours, vivant !
Alors, du haut de l'espace éternel,
Je lancerai l'Appel au Jugement.
Et l'on verra, pareils aux masses planes
Des arbres charriés par le courant,
Les siècles, en dociles caravanes,
Ramper vers moi, hors de la nuit des temps.
Komentáre