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traduit par GABRIEL AROUT
LES EDITIONS DE MINUIT (1967)
Ceux qui sont nés dans les années banales
Perdent de vue la trace de leurs pas
Nous, les enfants d'une époque fatale
Vivons des jours que l'on n'oublie pas.
Années, au goût de cendre et de poussière,
Folie, espoir, quel est votre message ?
De la libération et de la guerre
Reste un reflet sanglant sur les visages.
Et quel mutisme ! Oui, le jeu des lèvres
S'est arrêté à l'ordre du tocsin
Et dans les coeurs, jadis battant de fièvre
On sent le vide d'un fatal destin.
Qu'importe, viennent, viennent sur nos couches
S'abattre les corbeaux en vols funèbres
Seigneur, que les élus, par notre bouche
Trouvent Votre Royaume en ces ténèbres.
8 septembre 1914.
Une jeune fille chantait dans le choeur
Pour les hommes las en terre étrangère
Pour tous les navires partis sur les mers
Pour tous ceux qui ont perdu leur bonheur
Et sa voix montait droit sous la coupole
Un rayon brillait sur sa blanche épaule
Et chacun dans l'ombre << regardait >> chanter
Cette robe blanche dans le rayon clair.
Et la joie semblait, à nouveau, possible
Les navires étaient dans un port paisible
Et les hommes las en terre étrangère
Avaient retrouvé une vie légère.
La voix était douce, le rayon doré
Seulement au fond, près du sanctuaire
Proche des mystères, un enfant pleurait :
Il savait que personne ne reviendrait.
Août 1905.
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LA DANSE DE MORT
(fragment)
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traduit par GABRIEL AROUT
LES EDITIONS DE MINUIT (1967)
La nuit, la rue, le réverbère
La pharmacie et la lumière
Absurde et glauque.... Non, ici
Tout est pareil et sans issue
Et longuement, après ta mort,
La nuit, la rouille du canal
Gelé, reflétera encor
La pharmacie et le fanal.
10 octobre1912.
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<< BELLE INCONNUE >>
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traduit par GABRIEL AROUT
LES EDITIONS DE MINUIT (1967)
Le soir, un air brûlant et morne
Stagne, au-dessus des restaurants
Au rythme des clameurs d'ivrognes,
Relent de stupre et de printemps.
Au loin, sur l'ennui, la poussière
Des ruelles et des chalets,
Où piaillent des enfants, s'éclaire
Le croissant d'or du boulanger.
Près des fossés, hors les murailles,
Offrant le bras à des putains,
Circulent, melon en bataille
Les chevaliers du baratin.
Sur le lac, où grincent les rames,
Des petits cris, des gloussements
La lune, faite aux mélodrames,
Tord sa grimace absurdement.
Et chaque soir, l'ami unique
Se reflète au fond de mon verre
Pareil à moi, soumis au leurre,
Amer, de ce philtre panique.
Des laquais aux visages las
Veillent aux tables des voisins
Des pochards aux yeux de lapins
Clament : << In vino veritas >>.
Est-ce un rêve ? Par la fenêtre
Embuée, chaque soir je vois
La jeune fille à taille de guêpe
Apparaître, gainée de soie.
Elle rentre seule et nonchalante,
De brume et de parfum nimbée,
Ignorant les pochards qui chantent
Et vient s'asseoir près de la baie.
Evocatrice panoplie :
Soie, ondulant en souples vagues
Les plumes de sa capeline
L'étroite main, chargée de bagues.
Par sa présence étrange, hanté,
Sous le voile qui la protège,
Je vois un rivage enchanté
Dans un lointain de sortilège.
Et je me sens dépositaire
D'un chaud soleil, de lourds secrets
Quand de mon âme les ornières,
Le vin amer a pénétré.
Les plumes d'autruche s'inclinent.
Je vois ses yeux, ses yeux sans fin,
Ses yeux bleus, sous sa capeline
Fleurir au rivage lointain.
Dans ton âme gît un trésor
Et j'ai la clef entre mes mains !
Monstre aviné, tu as raison !
La vérité est dans le vin.
1906
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SUR LES CHAMPS DE KOULIKOVO
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traduit par GABRIEL AROUT
LES EDITIONS DE MINUIT (1967)
Entre le Don et la Népriadva s'étend
le champ de Koulipkovo. C'est là qu'au
XIX° siècle les Russes ont livré leur
première grande bataille, pour secouer
le joug tartare.
I
Le fleuve morne étale et roule sa paresse,
Il baigne ses rivages,
L'argile triste et roux de ses falaises et la détresse
Des meules dans la steppe.
O ma Russie, ma femme, dans la douleur qui sèche
M'apparaît notre long chemin.
Jadis, la volonté tartare d'une flèche
Nous l'a tracé en perçant notre sein.
Ce chemin passe par le désespoir des plaines,
Russie, par ton désespoir.
Mais de l'obscurité nocturne où va la haine
Je ne crains plus le noir.
Qu'il fasse nuit. Nous arrivons, scintille
La steppe de nos feux de camp.
Dans la fumée, notre bannière brille
Face aux armes du Khan.
C'est l'éternel combat ! La paix, dans la poussière
Et le sang n'est qu'un rêve falot.
La cavale sauvage, écrasant la bruyère
Passe au galop.
Course sans fin. Verste et précipices .....
Arrête-toi, attends !
Et passent des nuées épouvantées et glissent
Sur l'horizon sanglant.
L'horizon est sanglant. Et la douleur ravage
Mon coeur ! Pleure, pleure à sanglots,
Il n'y a pas de paix ! La cavale sauvage
passe au galop.
7 juin 1908.
II
Nous nous sommes arrêtés dans cette plaine
Il n'est plus question de reculer.
Les cygnes ont lancé leur plainte lointaine
Les voilà qui se reprennent à crier.
Sur la route, une blanche pierre
Nous présage un malheureux destin
Les païens sont là - notre bannière
Ne flottera plus dans le matin.
Et courbant la tête vers la terre
Mon ami me dit : << Prépare-toi,
Comme moi fourbis ton cimeterre
Pour demain, pour notre Saint Combat. >>
Je ne suis ni le premier, ni le dernier
Mon pays sera longtemps en peine.
Mon épouse portera le deuil
Qu'elle prie pour moi et se souvienne.
8 juin 1908.
III
Cette nuit, Mamaï avec sa horde
A bloqué les ponts.
Tu étais auprès de moi dans l'ombre.
Tu savais, ou non ?
Sur les bords du Don, sombre et sinistre
Dans la nuit des champs,
Au milieu des voix des cygnes tristes,
J'évoquais Ton chant.
Dès minuit, le Prince obligeait l'armé
A se fortifier,
Ah qu'ils étaient loin les pleurs de la mère
Contre l'étrier.
Les oiseaux de nuit faisaient leur maraude
Au lointain roussi
Les éclairs, sans bruit, brillaient à la ronde
Sur toute la Russie.
Au-dessus du camp tartare, les aigles,
Criaient au malheur
La Népriadva s'enveloppait de brume
Comme une mariée.
Tu es descendue vers moi, dans la brume
Sans que bronche mon cheval
Tu portais une robe clair de lune
Comme pour un bal.
D'un rayon d'argent Tu traças un signe
Au fil de l'épée.
Tu as rafraîchi ma lourde cuirasse
Sur mon torse épais.
Quand, au point du jour la horde sauvage
vint nous attaquer
Sur mon bouclier, brillait Ton visage
Pour l'éternité.
8 juin 1908.
IV
A nouveau la douleur séculaire
Fait ployer les épis vers le sol
A nouveau, par-delà la rivière
Retentit son appel sans écho.
Où sont donc les manades sauvages
Disparues au galop de l'oubli.
Les passions déchaînées nos ravagent
Sous la lune au croissant rabougri.
Moi avec ma douleur séculaire
Je suis là, comme un loup affamé
Dois-je hurler à la lune précaire
Ou te suivre, sans avoir où aller ?
Et j'entends les échos de bataille
Les Tartars, leurs trompettes, leurs cris.
Au-dessus de ma terre natale
Calme et large s'étend l'incendie.
V
A nouveau sur le champ de Koulikovo
S'étend l'obscurité morose de la nuit.
Et comme d'un nuage menaçant
Elle a enveloppé le jour naissant.
Dans ce silence sans espoir et sans réveil,
Derrière la nuit, on entend pas, on ne voit pas,
Ni les échos tumultueux de la bataille
Ni les éclairs des fabuleux combats.
Pourtant je reconnais bien les signes
Des journées fatidiques et cruelles
J'entends à nouveau le cri des cygnes
Au-dessus du camp des infidèles.
Et je ne peux plus dormir en paix
Lorsque tant d'orages nous menacent.
Mon armure pèse sur mon coeur.
Mon heure est venue. Il faut prier.
23 décembre 1908.
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LE MEETING
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traduit par GABRIEL AROUT
LES EDITIONS DE MINUIT (1967)
Ce qu'il disait était intelligent et net
Et ses prunelles sombres
Dardaient de petits feux, des éclairs secs
Qui crépitaient dans l'ombre.
Vers lui montaient, du fond de cette foule
Des milliers de regards;
Mais il n'entendit pas dans ces rumeurs de houle
Sonner son glas.
Ses mouvements étaient précis, ses gestes sûrs,
Sa parole sévère,
Il hochait sa tête en mesure
Aux mots gris de poussière.
Et sombre comme les nocturnes vôutes
Il décidait avec autorité
Et agitait aux bornes de nos routes
Les lourdes chaînes de la liberté.
Mais ceux d'en bas n'écoutaient ni les noms
Ni les dates, ni l'appel du devoir
Et la tristesse de la condition
Humaine ne pouvait les émouvoir.
Soudain, comme un bras dressé, le tumulte
Fait tressaillir les feux.
Un bruit jaillit, pareil au bruit de chute
D'une bûche dans le feu.
Comme un éclair déchirant les ténèbres,
Ou comme une allusion,
Un sifflet stridule funèbre
Parmi les exclamations.....
Un sourd gémissement s'exhale,
Dans le bruit des carreaux cassés,
Et l'homme tombe sur les dalles
La tête fracassée.
Je ne sais qui d'un coup de pierre
L'a tué, seulement
Une tâche sanglante et claire
Restait sur le ciment.
Dans l'air se croisaient les sifflets
Les cris et les propos,
Mais l'homme étendu était prêt
Pour l'éternel repos.
Déjà, à l'entrée, des lumières
Jaillirent, au bruit des pas,
Les fusils chargés cliquetèrent
Dans les mains des soldats.
Et dans la lueur vacillante
On aperçut le mort
Et sur le mur l'ombre géante
D'un garde, près du corps.
La barbe sombre marquait les traits
De son visage blanc.
Les soldats, sans bruit, s'assemblaient
Et se mettaient en rang.
Et l'on sentait, dans le silence,
Flotter sur son visage fin
Comme d'un ange la présence
Et une joie sans fin.
Ouvertes, ses prunelles calmes,
Sévères, son profil,
Exposé à l'entrée de la salle
A l'ombre des fusils
On eût dit qu'à l'abri des baïonnettes
Il aspirait avec sérénité
Dans l'air nocturne au-dessus de sa tête
Le souffle de la liberté.
10 octobre 1905.
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LES SCYTHES
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traduit par GABRIEL AROUT
LES EDITIONS DE MINUIT (1967)
Vous êtes des millions - nous sommes des nuées et des nuées .....
Essayez donc de nous combattre
Oui, nous sommes des Scythes, barbares de l'Asie
Aux yeux avides, aux yeux bridés, des pâtres.
Siècles pour vous, pour nous un seul instant,
Entre l'Europe et les Mongols,
Dociles, nous avons dressé le bouclier
De nos épaules.
Durant des siècles vous avez forgé,
Dominant le fracas des cyclones,
Votre puissance et vous demeuriez étrangers
Aux cataclysmes de Messine ou de Lisbonne.
Des centaines d'années, tournés vers le Levant,
Pillant, thésaurisant nos pierreries
Et nous narguant, vous attendiez l'instant
De braquer votre artillerie.
L'heure a sonné. Le malheur prend son vol,
Et chaque instant aggrave vos menaces
Mais viendra le jour, où de toutes vos idoles
S'effacera la trace.
Vieux Monde, arrête ! Il est temps encore !
Dans ta torpeur voluptueuse et morne,
Arrête-toi comme le sage Oedipe
Devant le Sphynx à la fatale borne.
La Russie est un sphynx blessé versant le sang
Et qui sourit dans la douleur et dans la peine.
Et qui regarde désespérément vers toi
Avec amour et avec haine.
Aimer, aimer, comme aime notre sang
Le pouvez-vous encore ?
Vous avez oublié l'amour mortel, l'amour ardent,
Qui brûle et qui dévore !
Nous aimons tout, l'ardeur des chiffres froids,
Le don des visions mystiques;
Nous comprenons l'esprit caustique des Gaulois
Et le maussade génie germanique.
Et nous nous souvenons de l'enfer parisien
Et des fraîcheurs vénitiennes,
Des bosquets d'orangers aux arômes lointains
Et de Cologne la brumeuse géhenne.....
Et nous aimons la chair, son goût et sa couleur
Et son odeur mortelle et sourde.
Est-ce notre faute si votre squelette
Risque de se briser
Dans notre étreinte affectueuse et lourde.
Nous imposons la bride d'une main
Aux étalons piaffants et aux juments rétives.
Nous les domptons ou leur brisons les reins,
Comme nous corrigeons d'indociles captives.
Venez vers nous, nous vous ouvrons les bras
Oubliez les horreurs de la guerre !
Tant qu'il est temps, désarmez votre bras.
Camarades, nous serons frères.
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