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  • Photo du rédacteurjjsibilla

Le fard des Argonautes (1919)

Dernière mise à jour : 3 avr. 2019


Les putains de Marseille ont des soeurs océanes

Dont les baisers malsains moisiront votre chair.

Dans leur taverne basse un orchestre tzigane

Fait valser les péris au bruit lourd de la mer.


Navigateurs chantant des refrains nostalgiques,

Partis sur la galère ou sur le noir vapeur,

Espérez-vous d'un sistre ou d'un violon magique

Charmer les matelots trop enclins à la peur ?


La légende sommeille altière et surannée

Dans le bronze funèbre et dont le passé fit son trône

Des Argonautes qui, voila bien des années,

Partirent conquérir l'orientale toison.


Sur vos tombes naîtront les sournois champignons

Que louangera Néron dans une orgie claudienne

Ou plutôt certain soir les vicieux marmitons

Découvriront vos yeux dans le corps des poissons.


Partez ! harpe éolienne où gémit la tempête...


Ils partirent un soir semé de lys lunaire.

Leurs estomacs outrés tintaient tels des grelots

Ils berçaient de chansons obscènes leur colère

De rut inassouvi en paillards matelots...


Les devins aux bonnets pointus semés de lunes

Clamaient aux rois en vain l'oracle ésotérique

Et la mer pour rançon des douteuses fortunes

Se parait des joyaux des tyrans érotiques.


- Nous reviendrons chantant des hymnes obsolètes

Et les femmes voudront s'accoupler avec nous

Sur la toison d'or clair dont nous ferons conquête

Et les hommes voudrons nous baiser les genoux.


Ah! la jonque est chinoise et grecque la trirème

Mais la vague est la même à l'orient comme au nord

Et le vent colporteur des horizons extrêmes

Regarde peu la voile où s'assoit son essor.


Ils avaient pour esquif une vieille gabare

Dont le bois merveilleux énonçait des oracles.

Pour y entrer la mer ne trouvait pas d'obstacle.

Premier monta Jason, s'assit et tint la barre.

Mais Orphée sur la lyre attestait les augures;

Corneilles et corbeaux hurlant rauque leur peine

De l'ombre de leur vol rayaient les sarcophages

Endormis au lointain de l'Egypte sereine.


Chaque fois qu'une vague épuisée éperdue

Se pâmait sur le ventre arrondi de l'esquif

Castor baisait Pollux chastement attentif

A l'appel des alcyons amoureux dans la nue.


Ils avaient pour rameur un alcide des foires

Qui depuis quarante ans traînait son caleçon

De défaites payées en faciles victoires

Sur des nabots ventrus ou sur de blancs oisons.


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . .


Une à une, agonie harmonieuse et multiple,

Les vagues sont venues mourir contre la proue,

Les cygnes languissants ont fui les requins bleus,

La fortune est passée très vite sur sa roue.


Les cygnes languissants ont fui les requins bleus

Et les perroquets verts ont crié dans les cieux.


- Et mort le chant d'Eole et de l'onde limpide,

Lors nous te chanterons sur la lyre, Ô Colchide.


Un demi-siècle avant, une vieille sorcière

Avait égorgé là son bouc bi-centenaire.

En restait la toison pouilleuse et déchirée,

Pourrie par le vent pur et mouillée par la mer.


- Médée, tu charmeras ce dragon venimeux

Et nous tiendrons le rang de ton bouc amoureux

Pour voir pâmer tes yeux dans ton masque sénile :

O! tes reins épineux ô! ton sexe stérile.


- J'endormirai pour vous le dragon vulgivague

Pour prendre la toison du bouc licornéen

J'ai gardé de jadis une fleur d'oranger

Et mon doigt portera l'hyménéenne bague.


Mais la seule toison traînée par un quadrige

Servait de paillasson dans les cieux impudiques

A des cyclopes nus couleur de prune et de cerise :

Or nul d'entre eux ne vit le symbole ironique.


- Oh! les flots choqueront des arêtes humaines.

Les tibias des titans sont des ocarinas

Dans l'orphéon joyeux des stridentes sirènes,

Mais nous mangerons l'or des juteux ananas.


Car nous incarnerons nos rêves mirifiques.

Qu'importe que Phoebus se plonge sous les flots!

Des rythmes vont surgir, ô Vénus Atlantique!

De la mer pour chanter la gloire des héros.


Ils mangèrent chacun deux biscuits moisissants

Et l'un d'eux psalmodia des chansons de Calabre

Qui suscitent la nuit les blêmes revenants

Et la danse macabre aux danseurs doux et glabres.


Ils revinrent chantant des hymnes obsolètes.

Les femmes entr'ouvrant l'aisselle savoureuse

Sur la toison d'or clair s'offraient à leur conquête,

Les maris présentaient de tremblantes requêtes

Et les enfants baisaient leurs sandales poudreuses.


- Nous vous ferons pareils au vieil Israélite

Qui menait sa nation par les mers spleenétique

Et les juifs qui verront vos cornes symboliques

Citant Genèse et Décalogue et Pentateuque

Viendront vous demander le sens secret des rites.


Alors, sans gouvernail, sans rameurs et sans voiles,

La nef Argo partit au fil des aventures

Vers la toison lointaine et chaude dont les poils

Traînaient sur l'horizon linéaire et roussi.


- Va-t'en, va-t'en, va-t'en, qu'un peuple ne t'entraîne

Qui voudrait, le goujat, fellateur clandestin,

Au phallus de la vie collant sa bouche blême,

Fût-ce de jours honteux prolonger son destin!


"Corps et biens"


















































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