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Vladimir Maïakovki (1894-1930)

Dernière mise à jour : 28 mai 2021

(1)

Le nuage en pantalons

(chanté par Anna Prucnal)


Votre pensée qui se prélasse

dans une cervelle...molle

comme un laquais...gras

sur une couchette...sale,

Je la harcèle avec un lambeau

sanglant de mon coeur.

Je me gausse de vous,

avec insolence et aigreur.


Refrain

Dans mon âme,

pas un cheveu blanc,

aucune douceur sénile;

écrasant le monde sous le tonnerre de ma voix,

je marche beau j'ai vingt-deux ans


Jonglant avec les mots...

je m'arracherai l'âme

je la piétinerai pour l'agrandir

et je vous la donnerai

ensanglantée comme un drapeau.


Je ne crois pas en "Nice Fleurie",

je glorifie sans réserve

les hommes pourris comme des asiles

les femmes usées comme des proverbes.


Si vous voulez je serai ivre de chair ou

- comme un ciel changeant de tons -

je puis être, si vous voulez, l'incorrigible douceur,

non pas un homme, mais un nuage en pantalons.


Dans mon âme,

pas un cheveu blanc,

aucune douceur sénile;

écrasant le monde sous le tonnerre de ma voix,

je marche beau j'ai vingt-deux ans



Comme on dit l'incident est clos

la barque de l'amour s'est brisée contre la vie courante.

Je suis quitte avec la vie


Soyez heureux.

Vladimir Maïakovski , 19 avril 1930


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(2)

Le nuage en pantalons (fragment)

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traduit par GABRIEL AROUT

LES EDITIONS DE MINUIT (1967)


Votre pensée

qui se prélasse

dans une cervelle

molle

comme un laquais gras sur sa couchette

sale,

je la harcèle

avec un lambeau sanglant de mon coeur.

Je me gausse de vous,

avec insolence et aigreur.


Dans mon âme, pas un cheveu blanc,

aucune douceur sénile;

écrasant

le monde

par la puissance de ma voix,

je me promène beau

et j'ai vingt-deux ans.


Vous les tendres,

vous parlez d'amour

sur des violons.

Ceux qui sont grossiers

préfèrent les cuivres,

mais aucun d'entre vous

ne sait comme moi

se mettre à l'envers

tout entier,

pour ne former

que des lèvres.


Je ne veux pas qu'on parle

de Nice fleurie,

lorsque se gausse de moi,

acerbes,

des hommes

fades comme des infirmeries,

des femmes

oblitérées comme des proverbes.

.................................................................................................

Si vous voulez

je serai ivre de chair

ou --

comme un ciel changeant de ton --

je puis être,

si vous voulez,

impeccablement doux,

non pas un homme, mais un nuage en pantalons.

Vous direz : on connaît ça,

c'est le délire de la malaria.

Non,

cela s'est passé,

cela s'est passé à Odessa.

<< Je viendrai à quatre heures >>

m'a dit

Maria.


Huit,

neuf,

dix.


Et voilà que du soir

j'entre dans la nuit,

quittant la fenêtre

maussade

comme décembre.


Dans mon dos voûté, j'attends le rire

hululant des candélabres.


Personne ne pourrait me reconnaître

en ce bloc énorme de muscles

qui se tord

et geint.


Que pourrait désirer ce bloc,

ce grand corps ?

Or

ce corps a beaucoup de besoins !

On a beau dire

qu'on est de bronze,

que notre coeur a le froid de l'airain,


la nuit on aimerait abriter son délire

dans du tendre,

du féminin.


Et me voilà

immense,

accoudé à la fenêtre.

Je fais fondre la vitre sous mon front brûlant.

Et je pense :

<< Aurai-je de l'amour ?

Peut-être

viendra-t-il, cet amour,

et il sera comment,

petit ou grand ?

Et il serait grand pour quelle raison,

dans un tel corps ?

Non, plutôt un amour minuscule,

bien sage.

Un amour timide, craignant les clacksons,

préférant les clochettes des équipage. >>


Des heures et des heures

encore et encore

face à face

avec le visage grêlé de la pluie

qui grimace,

immobile,

j'attends,

éclaboussé par le bruit

de la marée de cette ville...


Minuit, un couteau à la main

m'atteignit,

m'égorgea.

Bravo !

Bien fait pour ce lâche.

La douzième heure est tombée

comme sur le billot

une tête sous la hache.

Contre les vitres

les gouttes de pluie

s'étendent

en un rictus

comme les chimères

hurlantes dans la nuit

de Notre Dame de Paris .


Maudite !

Cela aussi ne te suffit donc pas ?

Bientôt mon cri va déchirer ma bouche.

Tiens, J'entends,

tout doucement,

à petits pas,

comme un malade désertant sa couche,

un nerf saute.

Et le voilà

qui va et vient,

tout doux doux doux

puis s'affole

vibre

et trotte.

A présent, ils sont déjà trois

à danser un infernal fox-trot,

comme des fous !


A faire tomber les platras

à l'étage en dessous.


Des nerfs

grands

et petits,

innombrables,

bondissent enragés,

et déjà

les jambes leur manquent, ils tremblent !


Et la nuit dans la chambre est comme un marécage.

L'oeil, alourdi, n'arrive pas à s'y faire un passage.

J'entends soudain claquer

les portes de l'hôtel

comme des dents

quand on a peur ou qu'il gèle.

Tu es entrée, Maria,

droite, comme si tu t'offrais,

froissant le daim de ton gant,

et tu as dit,

tranquillement :

<< Savez-vous, bientôt je me marie. >>


Ah ?

Eh bien,

c'est parfait !

Mariez-vous,

c'est une fin.

Je tiendrai le coup.

Je suis fort.

Voyez, je suis calme

comme le pouls

d'un mort.

Vous souvenez-vous,

vous parliez :

Jack London,

argent,

amour,

passion.

Et moi je ne voyais

que cela....

Vous êtes une Joconde

qu'il fallait voler

sans discussion.

Voilà !

Et on vous a volée.


A nouveau je sors du jeu

plein d'amour,

du feu de mes regards

Incendiant mon front.

Eh bien,

même dans les maisons brûlées

s'abritent parfois des clochards.

Vous riez ?

Vous croyez que c'est l'alcool que je cuve

et que je suis très loin de la folie.

Prenez garde,

souvenez-vous,

pour perdre Pompei,

il a suffi d'exaspérer le Vésuve !

Eh bien,

messieurs les amateurs

paisibles

de blasphèmes,

de crimes

et de carnages,

avez-vous jamais vu

rien de plus terrible

que mon visage

lorsque je suis

absolument

calme ?

Et que mon << moi >> est trop petit

et que quelqu'un d'obstiné

s'efforce d'en sortir.


Allo !

--- Qui parle ?

--- C'est vous maman ?

--- C'est moi.

--- Votre gars,

maman,

est admirablement malade !

Il a un incendie au coeur.

Dites à mes soeurs

Luda et Olga

qu'il ne sait plus où donner

de la tête.

Chaque jeu

de mots,

chaque plaisanterie,

que vomit sa bouche brûlée

bondit

comme une prostituée

par la fenêtre

d'un bordel

en feu.

Les gens flairent

le brûlé.

Et voilà qu'arrivent,

en casques

éclatants,

d'autres,

on les presse.....

<< Non, attends, pompier,

on ne peut ainsi écraser un coeur en feu

avec les caresses

de vos lourdes bottes

comme on fracasse

une porte.

Pas besoin d'eau.

Tout seul je roulerai les tonneaux

de mes yeux pleins de larmes.

Laissez-moi prendre appui sur mes côtes

J'en sortirai, j'en sortirai, j'en sortirai.

Je suis prêt. >>

Attention, alarme !

Tout s'écroule,

j'ai peur :

on ne peut sortir de son coeur.


Et dans le visage brûlé,

par la fente des lèvres

un petit baiser

carbonisé

est prêt à bondir.

Maman !

Je ne peux plus chanter mes litanies !

Dans la chapelle de mon coeur

l'autel est en flammes !


De mon crâne sortent

des formes brûlées

de chiffres et de mots,

comme des enfants

qu'on emporte

d'un immeuble, où le feu fait rage.

C'est ainsi que la peur

tendait vers le ciel

les bras en feu du Lusitania

faisant naufrage.


Vers les hommes tapis qui tremblent

de crainte et de honte,

dans la paix de leur chambre

un halo d'incendie aux mille regards monte.

O mon dernier cri,

toi, au moins, hurle

aux siècles futurs

que je brûle.





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(3)

LA NUE EMPANTALONNEE.

(Le nuage en pantalons )

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traduit par ARMAND ROBIN

AUX EDITIONS DU SEUIL (1949)



Votre pensée,

Qui sur votre cervelle amollie se tient songeante

Tel un larbin plein d'embonpoint sur une graisseuse

chaise longue,

Sur la saignante loque du coeur je vais la taquiner;

Mordant, impudent, je vais faire un grand banquet de

quolibets.


Chez moi dans l'âme pas un unique blanc cheveu,

Pas un seul cheveu de l'attendrissement des vieux !

Tonnerre étonnant le monde par la force de ma voix,

Je suis un splendide passant

Agé de vingt deux ans.


Vous, hommes de l'attendrissement,

Vous couchez l'amour sur les violons.

Les hommes du brutal sur les timbales le vont couchant.

Mais vous et moi, trop faibles, ne le retournons

De façon qu'il soit seulement lèvres, tout au long.


Venez vous instruire !

Du salon vient, toute en batiste,

La solennelle fonctionnaire de l'angélique ligue,


Laquelle,

Sûre d'elle,

Feuillette le livre des lèvres

Comme une cuisinière le culinaire livre.


Si telle est votre volonté,

A force de viande en enragé je me muerai !

Et

(Changeant, tel le ciel, de tonalité),

Si telle est votre volonté,

Irréprochablement tendre je me ferai :

Non plus un homme, mais une nue empantalonnée.


Je ne crois pas qu'existe une Nice de floraisons !

De nouveau je n'ai pour ma célébration

Que des hommes-hôpitaux qui trop longtemps furent

allongeaison

Et des femmes, comme dictons, usées jusqu'à la cordaison.


Vous pensez que c'est là délire de malaria.


Cela se passa,

A Odessa se passa.

<< A quatre heures je serai là >>, m'avait dit Maria.


Huit heures.

Neuf.

Dix.


Voici que même la soirée,

Entrant dans le nocturne effroi,

De la croisée s'en est allée,

Renfrognée,

Décembre pris de froid.


Dans son dos décrépit ricanent, hennissent

Les lampadaires.


Vous ne pourriez me reconnaître en cet instant :

La masse de nerfs

Les gémissements,

Crispements.

Que peut bien désirer un tel amassement ?

Las! l'amas a beaucoup de désirs.


Trop évident que pour soi pas d'importance

Qu'il y ait existence de bronze,

Que le coeur, ce soit ferraille froide !

La nuit nous vient envie d'avoir pour les tintinnabulis

L'abri

Du câlin,

Du féminin.

Et voilà

Que, moi-même massif amas,

Boule courbe contre la vitre,

Je fends de mon front le carreau de la fenêtre.

<< Y aura-t-il l'amour ou non ?

<< Amour de quelle dimension ?

<< Petit ou grand amour ?

<< Un grand amour de la part d'un corps si court !

<< Probablement un tout petit amour,

<< Une toute douce-douce amourette d'amour

<< Un amour qui de côté, quand une auto claxonne, se

jette,

<< Un amour pour les sonnettes des tramways à chevaux

pris d'amourette >>.


J'attends encore,

Pressé contre la pluie.

J'attends encore,

Mon visage sur le visage vérolé de la pluie.

Le ressac de la mer citadine m'éclabousse de son tonnerre.


Minuit, canif en mains, courant à toute force,

Rattrape,

Egorge :

<< A la trappe ! >>


La douzième heure est tombée,

Telle d'un échafaud la tête d'un condamné.

Sur les vitres les grises goutticules de pluie

Ont tordu leur hululis,

Construit en massif édifice leur grimacerie.

C'est comme si les chimères étaient hululis

Sur la cathédrale de Notre-Dame de Paris.


<< Maudite ! >>

Quoi ? même ce << maudite ! >> point ne suffit ?

Bientôt j'aurai des cris à mettre ma bouche en guenilles.


J'écoute :

Sans bruit,

Tel un malade quittant son lit,

Un nerf à terre saute.

Puis voici :

Pour débuter il a pris pied

A peine, grand'peine,

Puis courir il s'est mis,

Tout en contorsionnis,

Précis.

Et maintenant lui et deux autres comme lui

S'agitent comme claquettes en folie.


A l'étage du dessus s'est écroulé du crépi.


Les Nerfs

(Les Nerfs éminents,

Les Nerfs tout petits,

Le peuple des Nerfs)

Galopent, ont le tournis.

Et ça ne dure pas longtemps :

Sous les Nerfs défaillent leurs jambes

Tandis que s'enlise, s'enlise la lie de la nuit dans la

chambre

Et que les yeux appesantis de cette lie ne peuvent plus

se déprendre.


Brusques bruits de fer aux portes

Et tout l'hôtel semble mâchoire

Où dent sur dent sont claquetis !

Torturant des gants de chamois,

Apte comme un << Me voilà ! >>

Cette chose aux portes c'est TOI,

Avec ce dit :

<< Vous savez .... Je me marie ! >>


Très bien, Madame, mariez-vous !

C'est rien.

Puissamment je me tiens.

Regardez : je suis calme, calme tellement !

On dirai le pouls

D'un mort bien mort.

Vous vient-il pas ressouvenance

D'un de vos dits de jadis :

<< Argent, amour, passion, Jack London. >>

Pendant votre dit je vis

(Et seulement cela je vis)

Que vous étiez une Joconde,

Qu'il fallait voler la Joconde !

Or on a volé la Joconde.


De nouveau, fol amoureux, je vais me jeter dans les jeux;

Dedans la courbe de mes sourcils je vais mettre une aube

de feux.

Hé oui !

Même dans un logis tout détruit par l'incendie

Installent parfois leur vie des mendiants sans nul logis.


Vous êtes taquinante, Madame ?

<< Chez vous, dites-vous, les folies d'émeraude sont moins

<< Nombreuses que les sous dans la casquette du pauvre

du coin ? >>

Faites-vous---ressouvenante, Madame :

Pompei a peri

Le jour où sur le Vésube on répandit la taquinerie.


Hep !

Messieurs qui

Adorez les sacrilèges, qui

Etes amants des crimes, qui

Tant aimez les abattoirs, le pis

De l'effrayant, l'avez-vous saisi :

Mon visage quand

Je suis calme absolument ?


Et je perçois :

Le mien << moi >>

Est peu de chose de moi.

Un opiniâtre << autre que moi >> se fraye hors moi sa voie.


<< Allo ! qui

<< parle ?

<< Maman ? >>

--- C'est Maman !

--- Maman, votre enfant est malade magnifiquement.

Maman !

Il est malade d'incendie du coeur.

A Liouda, Olia, mes soeurs,

Dites qu'il n'a plus où s'ensauver avec sa vie.

Toute parole,

Toute drôlerie,

Qu'il crache hors sa bouche d'incendie assiégée

Est comme une prostituée nue qui

D'une maison publique en feu est jetée.


Toute une gent va en reniflant :

--- << ça sent le brûlé >>.

On fait venir.... qui ?.... je ne sais :

Des rutilants,

Avec des casques !

Inutiles, les bottes de géants !

Aux sapeurs-pompiers allez disant :

Sur un coeur montez non pas avec des casques, mais des

caresses !

C'est moi l'incendie :

L'amas de larmes dans mes yeux, je le vide en barrils.

Qu'on me permette sur mes côtes de m'arc-bouter :

Je vais sauter. Je vais sauter. Je vais sauter. Je vais sauter

Les pompiers à terre ont croulé.

On ne peut hors du coeur sauter.

Sur le visage tout brasier

Un géant baiser carbonisé

Hors la fissure des lèvres crevassées

S'élance, grandit en flammes.


Maman,

Je ne puis avoir de chant.

Dans le choeur du coeur les stalles prennent feu.

Embrasées, des figures de chiffres et de mots,

Hors les murs du cerveau,

Tels des bambins hors d'un édifice d'incendie,

Font le saut.


Ainsi l'effroi

De ne pouvoir aux nues accrocher les doigts

A suspendu

Les bras en flamme du Lusitania.


O mon dernier cri,

Quoi que soit ce que tu cries,

Gémis dans les siècles que je suis en incendie !




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(4)

Le Nuage en pantalon

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traduction française de Charles Dobzynski

Le TEMPS des CERISES (février 2011)


Prologue


Votre pensée

qui rêvasse sur un cerveau ramolli

tel un laquais adipeux, vautré sur une banquette graisseuse,

je l'exciterai par la loque ensanglantée du coeur

me moquant tout mon soûl, insolent et caustique.


Je n'ai pas un seul cheveu gris dans l'âme,

aucune tendresse sénile !

Le monde retentit qu'entonnerre ma voix

et j'avance - beau

de mes vingt-deux ans.


Délicats !

Vous couchez l'amour sur les violons,

les rustres le couchent sur les timbales,

Mais pouvez-vous comme moi retourner votre peau

pour n'être plus de haut en bas que des lèvres ?


Apprenez ceci :

digne employée de la ligue des anges

toute en batiste de salon.


Et vous qui calmement feuilletez les lèvres

comme une cuisinière un livre de recettes.


Si vous voulez,

Je serai tout de viande déchaîné

- ou bien changeant de ton comme le ciel, si ça vous chante,

je serai tendre, irréprochablement.

Non plus un homme, mais un nuage en pantalon !

Je ne crois pas à la Nice des fleurs.

Par moi de nouveau sont glorifiés,

les hommes chiffonnés comme un lit d'hôpital

les femmes élimées comme un proverbe.


* **

I


Vous pensez que divague la malaria ?


C'est arrivé

vraiment, à Odessa.


-- << Je viendrai à quatre heures >> avait dit Marie.


Huit.

Neuf.

Dix heures.


Et voici que le soir

pour l'angoisse nocturne

s'éloigne des fenêtres

assombri

décembral.


Les candélabres sont hilares

et hennissent dans mon dos décrépit.


On ne pourrait à cette heure me reconnaître :

masse noueuse, énorme,

qui gémit,

se convulse.

Cette masse, que peut-elle désirer ?

Tant de choses pourtant !


Il importe peu

que l'on soit de bronze,

que l'on ait pour coeur un morceau de fer,

la nuit on voudrait enfouir son propre tintement

dans du tendre,

du féminin.


Et me voilà,

énorme,

je m'arcboute à la fenêtre.

Sous mon front je fais fondre la vitre.

L'amour oui ou non viendra-t-il ?

Et quel amour ?

Grand ou minuscule ?

D'où vient un grand amour

dans un tel corps ?

Ce devrait être une amourette tranquille,

aux klaxons des autos qui la secouent

elle préfère le grelot des petits trams.

Encore et toujours

plantant mon visage

dans celui grêlé de la pluie,

j'attends

éclaboussé par le fracas du flot urbain.


Et minuit l'égorgeur,

brandissant son couteau

me poursuit, me rattrape, --

qu'on en finisse !


Et la douzième heures est tombée

comme, du billot, la tête du condamné.


Sur les vitres, les gouttes de pluie grises

grincent à l'unisson,

entrelacent les grimaces

comme si hurlaient les gargouilles

de Notre-Dame de Paris.


Maudite !

Quoi, cela ne suffit pas ?

Bientôt ma bouche va se déchirer de cris.


J'entends

que sans aucun bruit

un nerf a bondi

comme un malade hors de son lit,

voilà

qu'il risque un pas,

tout doux, tout doux,

et puis il se met à courir,

inquiet,

précis.

Et maintenant deux autres avec lui

mènent, effrénée, une danse de claquettes.


A l'étage au-dessous le plâtre craque.


Les nerfs,

grands,

petits,

une ribambelle !

galopent, frénétiques et

déjà titubent

sur leur jambes !


Et la nuit envahit la chambre d'une vase dont

l'oeil enlisé ne peut s'arracher.


Les portes ont battu soudain

comme si l'hôtel

claquait des dents.


Tu es entrée,

brusque, comme un : << voilà >>

triturant le daim de tes gants,

tu as dit :

<< Vous savez

je me marie >>.


Et bien quoi, mariez-vous !

Bagatelle !

Je saurai tenir le coup.

Regardez : je suis calme,

calme comme le pouls

d'un mort.


Vous souvenez-vous ?

Vous disiez :

<< Jack London,

argent,

amour,

passion >>

Et moi je ne voyais rien que cela :

Vous étiez la Joconde

qu'il fallait voler !


Et que l'on a volée.


Encore une fois amoureux je jouerai

le jeu

illuminant de feu l'arc des sourcils.

Eh bien Quoi !

Même dans une maison qui a brulé

il arrive à des vagabonds de survivre !

Vous provoquez ?

<< Vous avez moins d'émeraudes-démence

qu'un mendiant n'a de menue monnaie >>

Souvenez-vous

Pompéi a péri

quand on irrita le Vésuve !


Holà !

Messieurs !

Amateurs de sacrilèges,

de crimes

et de massacres,

avez-vous vu chose plus terrible

que mon visage

lorsque je suis

moi,

d'un calme absolu ?

Et je sens

que << moi >>

pour moi, c'est trop peu,

obstinément quelqu'un cherche à s'en échapper.


Allo !

Qui parle ?

Maman ?

Maman !


Votre fils est fabuleusement malade !

Maman !

Il a un incendie au coeur.

Dites à mes soeurs, Liouda et Olia,

qu'il ne sait plus où se fourrer.

Chaque mot,

serait-ce même une plaisanterie

qu'il éructe, la bouche en feu,

est chassée nue comme une prostituée

hors d'un lupanar en flammes.


Les gens reniflent --

Ca sent le brûlé !

On va au-devant de ceux qui accourent

étincelants,

casqués !

Inutiles, les grandes bottes !

Dites aux pompiers

que dans un coeur en feu on grimpe chaussé de caresses.

Moi-même au-dehors je roulerai

les tonneaux de mes yeux remplis de larmes.

Laissez-moi prendre appui sur mes côtes.

Je vais sauter ! Sauter ! Sauter !

Tout s'écroule.

On ne saute pas hors du coeur !

Sur le visage calciné

grandit et bondit par la lézarde des lèvres

un petit baiser carbonisé.


Maman !

Je ne peux pas chanter,

dans la chapelle du coeur de lutrin est en feu !


Des silhouettes noircies de chiffres et de mots

s'extirpent du crâne

comme les enfants fuient un édifice en flammes.

C'est ainsi que la panique

brandissait

tentant de s'accrocher au ciel

les bras flambants du Lusitania.


Vers les gens qui tremblent d'effroi

dans la quiétude du logis,

la lueur aux cent yeux désamarre.

Mon dernier cri,

toi au moins clame

à la face des siècles

que je brûle !


*

**


II


Glorifiez-moi !

Je ne suis pas égal aux grands.

Sur tout ce qui fut créé

j'écris << Nihil >>.


Je ne veux plus

jamais rien lire.

Les livres ?

Eh bien quoi, les livres ?


Autrefois, j'ai pensé :

c'est ainsi que se font les livres,

un poète arrivait,

entrebâillait légèrement les lèvres

et illico l'innocent inspiré se mettait à chanter.

Et allez donc !

Mais en réalité

avant que le chant ne nous vienne

on chemine longtemps les pieds couverts d'ampoules à force

d'aller et venir,

tandis que doucement dans la vase du coeur barbote

le stupide poisson de l'imagination.

Pendant qu'on fait bouillir, raclant les rimes,

quelque brouet d'amour et de rossignols,

la rue se tord privée de langue,

sans rien pour crier ni parler.


Nous érigeons de nouveau, orgueilleux,

les tours babéliennes de nos villes,

mais Dieu

rase les villes,

les nivelle dans les champs

en confondant les langages.


La rue contient sa douleur en silence.

Un cri fiché dans le gosier.

Les taxis obèses, les calèches osseuses,

Et la poitrine de la ville est piétinée

à en être plus plate que phtisie.


La ville a vérrouillé sa route avec du noir.


Et quand --

malgré tout ! --

elle eut craché la cohue sur la plage,

repoussant le parvis qui lui poignait la gorge,

on s'est pris à songer :

c'est Dieu détroussé,

accompagné par le choeur des archanges

qui vient pour se venger !

Mais la rue s'est accroupie et s'est mise à brailler :

<< Allons bouffer ! >>


Les Krupp gros et petits fardent le masque de la ville

d'un menaçant froncement de sourcils,

mais dans la bouche

se décomposent les cadavres des mots morts.

deux seulement survivent et s'empiffrent :

<< Salaud ! >>

et un autre, on dirait, qui ressemble

à << borchtch >>.


Les poètes ,

tout ramollis de pleurs et de sanglots,

ont fui la rue la tignasse en bataille :

<< Comment chanter avec ces deux mots

et la jeune fille

et la fleurette sous la rosée ? >>


A la suite des poètes,

viennent les gens des rues, la multitude,

les étudiants,

les prostituées,

les sous-traitants.


Messieurs !

Arrêtez-vous !

Vous n'êtes pas des mendiants !

Vous n'avez pas à demander l'aumône !

Nous autres, les robustes,

qui faisons des pas de deux mètres,

au lieu de les écouter, mettons-les en pièces,

eux,

qui se sont collés en rallonge gratuite

à chaque lit pour deux !


Faut-il humblement les solliciter

<< Aidez-nous ! >>

Les implorer pour un hymne

ou pour un oratorio ?

Nous-mêmes sommes créateurs dans un hymne ardent :

le bruit de la fabrique et du laboratoire.


Que m'importe Faust

en fusée de feu d'artifice

glissant avec Méphisto sur le parquet céleste !

Je sais

que le clou dans ma botte est plus cauchemardesque

que toute l'imagination de Goethe !


Moi,

bouche d'or,

dont chaque mot génère une âme neuve

et baptise le corps,

je vous le dis :

la plus infime des poussières de la vie

a plus de prix que tout ce que j'ai fait

et saurais faire !


Ecoutez !

la harangue

convulsive et plaintive

de l'actuel Zarathoustra aux lèvres de cris !

Nous,

la face comme un drap, mal réveillés,

et les lèvres pendantes comme un lustre,

nous,

forçats de la cité-léproserie

où l'or et la boue recouvrent les pustules,

nous sommes purs, plus que l'azur vénitien,

qu'en même temps lavent les mers et les soleils !


On se fiche qu'il n'y ait pas

chez Homère et les Ovide

des gens pareils à nous

que la suie a grêlés.

Je sais

que le soleil blêmirait en voyant

les pépites d'or de nos âmes !


Nos muscles et nos nerfs sont plus sûrs que les prières.

Allons-nous implorer les grâces du temps ?

Nous --

chacun de nous --

dans ses cinq doigts

tient les courroies de transmission du monde !


Voilà pourquoi j'ai gravi le Golgotha des auditoires,

de Pétrograd, Moscou, Odessa et Kiev,

il n'y en a pas un

qui ne criât :

<< Crucifiez,

crucifiez-le ! >>

Mais pour moi --

vous tous, les gens,

même ceux qui m'ont offensé

vous m'êtes plus que tout proches et chers.

Avez-vous vu

comment le chien lèche la main qui la frappé ? !

Moi

qui suis la risée des gens d'aujourd'hui,

comme une trop longue

et scabreuse anecdote,

je vois venir par-delà les montagnes du temps

celui que nul ne voit.


Là où bute la courte vue des hommes,

à la tête des hordes affamées,

sous la couronne d'épine des révolutions,

s'avance l'an mille neuf cent seize.


Et moi je suis parmi vous l'annonciateur,

je suis partout où l'on souffre,

sur toute larme qui coula

je me suis crucifié.

On ne doit plus rien pardonner --

J'ai cautérisé l'âme où croissait la tendresse,

et c'est plus difficile

que de prendre d'assaut mille et mille Bastilles !


Et quand

proclamant sa venue

par le tumulte des révoltes,

vous irez au-devant du sauveur,

pour vous, moi,

je m'arracherai l'âme

et la piétinerai

afin de l'agrandir

et, sanglante, vous la donner comme un drapeau.



* **

III


Ah pourquoi

et d'où vient cette levée

de poings sales dressés

vers la clarté joyeuse des bravos !


Et --

de même lorsque sombre un cuirassé,

on échappe à ses spasmes suffocants

par les écoutilles béantes --

Ainsi Bourliouk pris de panique

s'extrayait de son oeil

déchiré jusqu'au cri.

Ecorchant presque ses paupières en pleurs

il émerge,

se redresse,

va de l'avant,

et, avec une tendresse inattendue chez un homme aussi

corpulent,

il déclare :

<< C'est bon ! >>


C'est bon, l'âme à l'abri dans une blouse jaune

de la protéger des regards !

C'est bon

lorsqu'on vous jette aux dents de l'échafaud

de crier :

<< Buvez du cacao Van Houten ! >>


Et cet instant

feu de bengale,

fulgurant,

je ne l'échangerai contre rien d'autre,

contre rien...


Emergeant de la fumée des cigares

la gueule éméchée de Sévérianime

s'allongeait comme un verre à liqueur.


Ca ose s'appeler poète

et carcailler tout gris comme une caille !

De nos jour

il faut

muni d'un casse-tête

fendre le crâne du monde !


Vous,

que possède une seule idée

<< Est-ce que je danse avec élégance ? >>

regardez de quoi je me divertis

moi --

le souteneur des places publiques

et le tricheur aux cartes !


Loin de vous,

alanguis dans vos amourettes,

vous dont les larmes

inondent les siècles,

je m'en irai

avec le soleil pour monocle, vissé

dans mon oeil écarquillé.


Incroyablement accoutré,

je m'en irai de par le monde,

pour séduire et pour me brûler

et devant moi, Napoléon, je le tiendrai

en laisse comme un petit dogue.


Comme une femme toute la terre se couchera,

la chair en émoi s'offrant au désir :

tous les objets vont s'animer

et leurs lèvres

susurreront :

<< Tsatsa tsatsa tsatsa ! >>


Soudain

les nuages

et toute la nuagerie,

ont soulevé au ciel une houle inouïe

comme si s'égaillaient des ouvriers en blanc

déclenchant contre le ciel une grève sauvage.


Féroce, le tonnerre a surgi d'un nuage

en mouchant avec bruit ses narines géantes,

et la face du ciel un moment s'est crispée

en sévère rictus d'un Bismarck de fer.


Et quelqu'un

empêtré dans les rets des nuages,

a tendu les mains vers le café

d'une façon dirait-on féminine,

toute délicatesse,

mais aussi comme une salve de canon.


Vous pensez

que c'est le soleil, tendrement,

qui cajole la joue du café ?

Mais non, c'est le général Gallifet

qui revient fusiller les insurgés !


Vous qui rôdez, sortez vos mains des poches,

prenez une pierre, un couteau ou une bombe

et si quelqu'un n'a plus de mains

que son front lui serve à cogner !

Venez, vous les crève-la-faim,

les pauvres qui suez,

les esclaves courbés,

qui moisissez dans la saleté des puciers !


En avant !

les lundis et les mardis

nous les repeindrons de sang pour nos fêtes

que sous nos coutelas la terre se souvienne

de ceux qu'elle a voulu rapetisser !


La terre,

gavée comme une maîtresse

pour la jouissance de Rothschild !


Que claquent les drapeaux dans la fièvre des salves;

et comme en toute fête digne de ce nom,

réverbères, hissez plus haut à vos potences

les corps transpercés et sanglants des boutiquiers !


Injuriant,

suppliant,

des couteaux,

fouillant pour planter

leur pointe dans les flancs.


Au ciel, rouge comme la Marseillaise,

crevait en frissonnant le soleil couchant.


La folie, déjà.


Rien n'arrivera.

La nuit surviendra

qui d'un coup de dents

dévorera tout.


Regardez

de nouveau le ciel joue les Judas

avec une poignée d'étoiles éclaboussées par la traîtrise.


La nuit est venue.

Elle festoie comme Mamaï le Khan,

et son ciel écrase la ville.

Jamais nos yeux ne transperceront

cette nuit noire comme Azev !


Hérissé, blotti dans les coins des mastroquets,

j'asperge de vin mon âme et la nappe

et je vois

dans un recoin -- les yeux ronds --

ceux que la vierge a plantés dans mon coeur.


Pas question d'offrir ton auréole

comme sur les images bariolées,

à ce brouhaha d'ivrognes !

Tu vois, une fois de plus ils préfèrent Barrabas

au crucifié du Golgotha couvert de crachats !


Il se peut qu'à dessein je sois

dans la bouillie humaine

quelqu'un d'apparence banale,

Et pourtant, moi,

je suis peut-être

de tous tes fils

le plus beau.


Accorde-leur,

à ceux-là moisis dans la joie

malgré le temps de la mort si véloce

que les enfants à grandir deviennent à l'instant

les petits garçons des pères

et les petites filles des femmes fécondées.


Accorde aux nouveaux-nés les cheveux blancs

que le savoir donne aux mages,

et ils viendront --

ils baptiseront leurs enfants

du nom de mes poèmes.


Moi qui célèbre la machine et l'Angleterre,

peut-être que je suis tout simplement

du plus banal des évangiles

le treizième apôtre.


Et tandis que ma voix

d'heure en heure

durant des jours entiers,

obscène, braille

Jésus-Christ hume peut-être

les myosotis de mon âme.


* **

IV


Marie ! Marie ! Marie !

Laisse-moi entrer, Marie !

J'en ai assez des rues !

Tu ne veux pas ?

Tu attends

que mes joues se crevassent ?

Essayé par tous,

affadi,

je viendrai

et dans un sifflement d'édenté je dirai

que mes intentions aujourd'hui

sont << étonnament honnêtes >>.

Marie,

tu vois --

J'ai déjà commencé à me voûter


Dans la rue

les gens percent le gras de leurs mentons à quatre étages

pour extraire leurs petits yeux

usés par quarante ans d'errance

et ricanent

-- une fois encore -- de voir

entre mes dents

le pain rassis des caresses d'hier.


La pluie a inondé de larmes les trottoirs,

et, comme un cambrioleur, cernée par les flaques,

détrempée, elle lèche le cadavre des rues lapidée par les pavés.

Et sur les cils gris

--Oui !

sur les cils gris où le sel pend en stalactites

les larmes qui coulent des yeux --

Oui !

des yeux baissés des gouttières.


La gueule de la pluie a aspiré tous les piétons,

des légions d'athlètes gras luisaient dans les voitures,

et les gens éclataient --

gavés de nourriture,

et la graisse suintait d'entre les fentes

de chaque véhicule et dégoulinait en flot trouble

du pain déjà sucé

et de la viande mâchée des vieille côtelettes


Marie !

Comment faire entrer une seule parole douce

dans leur oreille obstruée de graisse ?

L'oiseau qui vit de sa chanson,

affamé et sonore chante,

Mais moi, Marie, je suis un homme,

un homme simplement,

que la nuit phtisique a craché

dans la nuit sale de Presnia !


Marie, m'acceptes-tu tel que je suis ?

Laisse-moi entrer, Marie !

Je vais de mes doigts convulsés serrer le cou de fer de la sonnette !


Marie !


Meutes des rues qui deviennent féroces,

et la gorge est griffée par les doigts de la foule.


Ouvre !

J'ai mal !


Tu vois -- les épingles à chapeau

sont plantées dans les yeux !


Elle a ouvert.


Ma petite !

N'aie pas peur,

si s'alourdit sur mon cou de taureau

une humide montagne de femmes aux ventres en sueur,

c'est que je traîne au long de ma vie

des millions d'énormes amours purs

et des millions de millions de sales amourettes.

Ne crains pas à des milliers de jolies frimousses

de << celles qui aiment Maïakovski >>!

car c'est toute une dynastie

de reines qui ont dominé ce coeur dément.


Approche-toi, Marie !


Sans honte d'être nue

ou dans le frisson de l'émoi,

donne-moi non fané le charme de tes lèvres :

mon coeur et moi jamais n'avons atteint le moi de mai,

et de ma vie entière

pour la centième fois je n'en suis qu'en avril.


Marie !

Le poète écrit des sonnets à Tiane,

mais moi --

tout entier de viande,

homme tout entier,

je demande simplement ton corps

comme les chrétiens prient

<< Donnez-nous aujourd'hui

notre pain quotidien >>,


Donne, Marie !


Marie !

J'ai peur d'oublier ton nom

comme le poète craint d'oublier

tel mot

né dans les souffrances des nuits,

égal à Dieu pour la grandeur !


Ton corps,

je saurai le choyer et l'aimer

comme un soldat

que la guerre a rétréci,

inutile,

sans liens,

prend soin de son unique jambe.


Marie,

tu ne veux pas ?

Non ?


Ah !


Alors de nouveau,

sombre et abattu

il me faudra prendre mon coeur

et dégoulinant de larmes

l'emporter,

comme un chien

ramène vers sa niche

sa patte écrasée par un train.


Le sang de mon coeur réjouira le chemin,

ses fleurs se colleront au manteau de poussière.

Et mille fois dansera le soleil autour de la Terre

comme Hérodiade

autour de la tête coupée de Jean-Baptiste.


Et lorsque mes années auront dansé

jusqu'au bout leur dernière danse,

un million de gouttelettes sanglantes jalonneront ma trace

jusqu'à la maison de mon père.

Je surgirai

crasseux (de tant de nuits à dormir dans les caniveaux)

à son flanc je me dresserai

et me pencherai

pour lui glisser à l'oreille :


Ecoutez, monsieur Dieu !

Comment sans lassitude pouvez-vous

tremper chaque jour vos yeux attendris

dans cette gelée de nuages ?


Mieux vaudrait installer

un manège

sur l'arbre de la connaissance du bien et du mal !


Omniprésent tu seras dans chaque coupe

et nous servirons de tels vins

que Pierre lui-même, le morose apôtre,

aura envie de danser le ki-ka-pou.

Et nous repeuplerons le paradis de petites Eve :

si tu l'ordonnes,

dès cette nuit,

de tous les boulevards je t'amènerai

les plus belles filles.


Le veux-tu ?


Tu ne le veux pas ?


Tu secoues ta tête bouclée ?

Tu fronces ton blanc sourcil ?

Peut-être supposes-tu

que celui-ci, ailé,

derrière toi

sait ce que c'est que l'amour ?


Je suis un ange moi aussi, je l'ai été,

on ne voyait en moi qu'un agneau en sucre,

mais je ne veux plus faire l'offrande à des juments

des vases façonnés dans le Sèvres de la souffrance.

Tout puissant, tu as inventé cette paire de bras,

tu as fait en sorte

que chacun possède une tête,

mais pourquoi n'as-tu pas inventé

que chacun puisse sans douleur

embrasser, embrasser sans fin ?


Je te croyais un Dieu de grandeur et de force,

mais, ignare, tu n'es qu'un petit Dieu de quatre sous,

tu vois je me penche

pour tirer de la tige de ma botte

mon alêne de cordonnier.


Canailles d'anges !

Au paradis l'un contre l'autre serrez-vous !

Hérissez vos plumes d'effroi !

Toi l'imbibé d'encens je vais te fendre

d'ici jusqu'à la terre d'Alaska !


Laissez-moi !


Vous ne pourrez pas m'arrêter.

Soit que je mente

soit qu'à mentir je dis vrai,

impossible d'être plus calme.

Regardez

on a de nouveau décapité les étoiles

et cette boucherie ensanglante le ciel !

Eh, vous !

Le ciel !

Chapeau bas,

Je m'avance !


Rien que silence.


L'univers dort,

il a posé sur sa patte

une immense oreille fourmillante d'étoiles.


(1914-1915)





14 avril 1930


À tous : Je meurs, n’en accusez personne. Et pas de cancans. Le défunt avait ça en horreur…

Maman, mes sœurs, mes camarades, pardonnez-moi, ceci n’est pas un moyen (je ne le conseille à personne), mais moi je n’ai pas d’autre issue.

Lili, aime-moi.

Camarade gouvernement, ma famille, c’est Lili Brick, maman, mes sœurs et Veronica Vitaldovna Polonskaïa. Si tu leur rends la vie possible, merci.

Les poèmes commencés, donnez-les aux Brik. Ils s’y retrouveront.

Comme on dit : «  L’incident est clos. »

Le canot de l’amour

S’est brisé contre la vie courante. Je suis quitte avec la vie. Inutile de passer en revue Les douleurs, Les malheurs, Et les torts réciproques. Soyez heureux.

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