jjsibilla
Le Testament 1/4
Dernière mise à jour : 20 juin 2021

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FRANCOIS VILLON
POESIES
nrf
collection Poésie/Gallimard
( Editions Gallimard 1973;)
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Le Testament
I
En l'an de mon trentième âge
Que toutes mes hontes j'eus bues,
Ne du tout fol, ne du tout sage,
Non obstant maintes peines eues,
Lesquelles j'ai toutes reçues
Sous la main Thibaut d'Aussigny....
S'évêque il est, signant les rues,
Qu'il soit le mien je le regny !
II
Mon seigneur n'est ne mon évêque;
Sous lui ne tiens, s'il n'est en friche;
Foi ne lui dois n'hommage avecque;
Je ne suis son serf ne sa biche.
Pu m'a d'une petite miche
Et de froide eau tout un été.
Large ou étroit, mout me fut chiche :
Tel lui soit Dieu qu'il m'a été.
III
Et s'aucun me vouloit reprendre
Et dire que je le maudis,
Non fais, se bien le sait comprendre,
En rien de lui je ne médis.
Veci tout le mal que je dis :
S'il m'a été miséricors,
Jésus, le roi du paradis,
Tel lui soit à l'âme et au corps !
IV
Et s'été m'a dur ne cruel
Trop plus que ci je raconte,
Je veul que le Dieu éternel
Lui soit donc semblable à ce compte.
Et l'Eglise nous dit et conte
Que prions pour nos ennemis.
Je vous dirai : << J'ai tort et honte,
Quoi qu'il m'ait fait, a Dieu remis ! >>
V
Si prierai pour lui de bon coeur,
Pour l'âme du bon feu Cotart !
Mais quoi ? ce sera donc par coeur,
Car de lire je suis fétard :
Prière en ferai de Picard;
S'il ne le sait, voise l'apprendre,
S'il m'en croit, ains qu'il soit plus tard,
A Douai ou à Lille en Flandre.
VI
Combien, souvent je veul qu'on prie
Pour lui, foi que dois mon baptême,
Obstant qu'à chacun ne le crie,
Il ne faudra pas à son esme.
Ou Psautier prends, quand suis à même,
Qui n'est de boeuf ne cordouan,
Le verselet écrit septième
Du psaume de Deus Laudem.
VII
Si prie au benoît fils de Dieu,
Qu'à tous mes besoins je réclame,
Que ma pauvre prière ait lieu
Vers lui, de qui tiens corps et âme,
Qui m'a préservé de maint blâme
Et franchi de vile puissance,
Loué soit-il, et Notre Dame
Et Loïs, le bon roi de France,
VIII
Auquel doint Dieu l'heur de Jacob.
Et de Salmon l'honneur et gloire,
( Quant de prouesse, il en a trop,
De force aussi, par m'âme, voire ! )
En se monde-ci transitoire,
Tant qu'il a de long et de lé,
Afin que de lui soit mémoire,
Vivre autant que Mathieusalé !
IX
Et douze beaux enfants, tous mâles,
Vëoir de son cher sang royal,
Aussi preux que fut le grand Charles
conçus en ventre nuptial,
Bons comme fut saint Martial.
Ainsi en preigne au feu Dauphin !
Je ne lui souhaite autre mal,
Et puis paradis en la fin.
X
Pour ce que faible je me sens
Trop plus de biens que de santé,
Tant que je suis en mon plein sens,
Si peu que Dieu m'en a prêté,
Car d'autre ne l'ai emprunté,
J'ai ce Testament très estable
Fait, de dernière volonté,
Seul pour tout et irrévocable,
XI
Et écrit l'an soixante-et-un
Lorsque le roi me délivra
De la dure prison de Meun,
Et que vie me recouvra,
Dont suis, tant que mon coeur vivra,
Tenu vers lui m'humilier,
Ce que ferai jusque il mourra :
Bienfait ne se doit oublier.
XII
Or est vrai qu'après plaints et pleurs
Et angoisseux gémissements,
Après tristesses et douleurs,
Labeurs et griefs cheminements,
Travail mes lubres sentements,
Aiguisés comme une pelote,
M'ouvrit plus que tous les comments
d'Averroÿs sur Aristote.
XIII
Combien, au plus fort de mes maux,
En cheminant sans croix ne pile,
Dieu, qui les pèlerins d'Emmaus
Conforta, ce dit l'Evangile,
Me montra une bonne ville
Et pourvue du don d'espérance;
Combien que péché si soit vile,
Rien ne hait que persévérance.
XIV
Je suis pécheur, je le sais bien;
Pourtant ne veut pas Dieu ma mort,
Mais convertisse et vivre en bien,
Et tout autre que péché mord.
Soit vraie volonté ou ennort,
Dieu voit, et sa miséricorde,
Se conscience me remord,
Par sa grâce pardon m'accorde.
XV
Et, comme le noble Romant
De la Rose dit et confesse
En son premier commencement
Qu'on doit jeune coeur en jeunesse,
Quand on le voit vieil en vieillesse,
Excuser, hélas ! il dit voir.
Ceux donc qui me font telle presse
En murté ne me voudroient voir.
XVI
Se, pour ma mort, le bien publique
D'aucune chose vausît mieux,
A mourir comme un homme inique
Je me jugeasse, ainsi m'est Dieus !
Griefs ne fais à jeunes ne vieux,
Soie sur pieds ou soie en bière :
Les monts ne bougent de leurs lieux
Pour un pauvre, n'avant n'arrière.
XVII
Ou temps qu'Alixandre régna,
Un hom nommé Diomédès
Devant lui on lui amena,
Engrillonné pouces et dés
Comme larron, car il fut des
Ecumeurs que voyons courir;
Si fut mis devant ce cadès
Pour être jugé à mourir,
XVIII
L'empereur si l'araisonna :
<< Pourquoi es-tu larron en mer ? >>
L'autre réponse lui donna :
<< Pourquoi larron me fait clamer ?
Pour ce qu'on me voit écumer
En une petiote fuste ?
Se comme toi me pusse armer,
Comme toi empereur je fusse.
XIX
<< Mais que veux-tu ? De ma fortune
Contre qui ne puis bonnement,
Qui si faussement me fortune,
Me vient tout ce gouvernement.
Excusez-moi aucunement,
Et sachez qu'en grand pauvreté
--- Ce mot se dit communément ---
Ne gît pas grande loyauté. >>
XX
Quand l'empereur ot remiré
De Diomédès tout le dit :
<< Ta fortune je te muerai
Mauvaise en bonne >>, si lui dit.
Si fit-il. Onc puis ne médit
A personne, mais fut vrai homme,
Valère pour vrai le vous dit,
Qui fut nommé le Grand à Rome
XXI
Se Dieu m'eût donné rencontrer
Un autre piteux Alixandre
Qui m"eût fait en bon coeur entrer,
Et lors qui m'eût vu condescendre
A mal, être ars et mis en cendre
Jugé me fusse de ma voix.
Nécessité fait gens méprendre
Et faim saillir le loup du bois.
XXII
Je plains le temps de ma jeunesse
Ouquel j'ai plus qu'autre galé
Jusqu'à l'entrée de vieillesse
Qui son partement m'a celé.
Il ne s'en est a pied allé
Në a cheval, las! comment don ?
Soudainement s'en est volé
Et ne m'a laissé quelque don.
XXIII
Allé s'en est, et je demeure,
Pauvre de sens et de savoir,
Triste, pâli, plus noir que meure,
Qui n'ai n'écus ne rente n'avoir;
Des miens le mendre, je dis voir,
De me désavouer s'avance,
Oubliant naturel devoir
Par faute d'un peu de chevance.
XXIV
Si ne crains avoir dépendu
Par friander ne par lécher;
Par trop aimer n'ai rien vendu
Que nul me puisse reproucher,
Au moins qui leur coûte mout cher.
Je le dis et ne crois médire;
De ce je me puis revencher :
Qui m'a méfait ne le doit dire.
XXV
Bien est verté que j'ai aimé
Et aimeroie volontiers;
Mais triste coeur, ventre affamé
Qui n'est rassasié au tiers,
M'ôte des amoureux sentiers.
Au fort, quelqu'un s'en récompense,
Qui est rempli sur les chantiers !
Car de la pance vient la dance.
XXVI
Bien sais, se j'eusse étudié
Ou temps de ma jeunesse folle,
Et à bonnes moeurs dédié,
J'eusse maison et couche molle.
Mais quoi ? je fuyoies l'école,
Comme fait le mauvais enfant.
En écrivant cette parole
A peu que le coeur ne me fend.
XXVII
Le dit du Sage trop lui fis
Favorable, (bien en puis mais !)
Qui dit : << Ejouis-toi, mon fils,
En ton adolescence. >>, Mais
Ailleurs sert bien d'un autre mets,
Car << jeunesse et adolescence >>,
C'est son parler, ne moins ne mais,
<< Ne sont qu'abus et ignorance. >>
XXVIII
<< Mes jours s'en sont allés errant
Comme, Job dit, d'une touaille
Sont les filets, quand tisserand
En son poing tient ardente paille. >>
Lors, s'il y a un bout qui saille,
Soudainement il est ravi.
Si ne crains rien qui plus m'assaille
Car à la mort tout s'assouvit.
XXIX
Où sont les gracieux galants
Que je suivoie ou temps jadis,
Si bien chantant, si bien parlant,
Si plaisants en faits et en dits ?
Les aucuns sont morts et roidis,
D'eux n'est-il plus rien maintenant :
Répit ils aient en paradis
En Dieu sauve le remenant !
XXX
Et les autres sont devenus,
Dieu merci ! grands seigneurs et maîtres;
Les autres mendient tous nus
Et pain ne voient qu'aux fenêtres;
Les autres sont entrés en cloîtres
De Célestins ou de Chartreux,
Bottés, housés com pêcheurs d'oestres :
Voyez l'état divers d'entre-eux.
XXXI
Aux grands maîtres doint Dieu bien faire,
Vivant en paix et en requoi :
En eux il n'y a que refaire,
Si s'en fait bon taire tout coi.
Mais aux pauvres qui n'ont de quoi,
Comme moi, doint Dieu patience !
Aux autres ne faut qui ne quoi,
Car assez ont vin et pitance.
XXXII
Bons vins ont, souvent embrochés,
Sauces, brouets et gros poissons;
Tartes, flans, oeufs frits et pochés,
Perdus et en toutes façons.
Pas ne ressemblent les maçons
Que servir faut à si grand peine :
Ils ne veulent nuls échansons,
De soi verser chacun se peine.
XXXIII
En cet incident me suis mis
Qui de rien ne sert à mon fait;
Je ne suis juge, ne commis
Pour punir n'absoudre méfait :
De tous suis le plus imparfait,
Loué soit le doux Jésus-Christ !
Que par moi leur soit satisfait;
Ce que j'ai écrit est écrit.
XXXIV
Laissons le moutier où il est;
Parlons de chose plus plaisante :
Cette matière à tous ne plaît,
Ennuyeuse est et déplaisante.
Pauvreté, chagrine et dolente,
Toujours, dépiteuse et rebelle,
Dit quelque parole cuisante;
S'elle n'ose, si le pense-elle.
XXXV
Pour ce que je suis, de ma jeunesse,
De pauvre et de petite extrace.
Mon père n'ot one grand richesse,
Ne son aïeul nommé Orace.
Pauvreté tous nous suit et trace;
Sur les tombeaux de mes ancêtres,
Les âmes desquels Dieu embrasse !
On n'y voit couronnes ne sceptres.
XXXVI
De pauvreté me grementant,
Souventes fois fois me dit le coeur :
<< Homme, ne te doulouse tant
Et ne demène tel douleur;
Se tu n'as tant qu'eut Jacques Coeur,
Mieux vaut vivre sous gros bureau,
Pauvre, qu'avoir été seigneur
Et pourrir sous riche tombeau ! >>
XXXVII
Qu'avoir été seigneur ! ..... Que dis ?
Seigneur, lasse ! ne l'est-il mais ?
Selon que David en dit,
Son lieu ne connaîtra jamais.
Et du surplus, je m'en démets :
Il n'appartient à moi, pécheur;
Aux théologiens le remets,
Car c'est office de prêcheur.
XXXVIII
Si ne suis, bien le considère,
Fils d'ange portant diadame
D'étoile ne d'autre sidère.
Mon père est mort, Dieu en ait l'âme !
Quant est du corps, il gît sous lame.....
J'entends que ma mère mourra,
Et'le sait bien, la pauvre femme,
Et le fils pas ne demourra.
XXXIX
Je congnois que pauvres et riches,
Sages et fous, prêtres et lais,
Nobles, vilains, larges et chiches,
Petits et grands, et beaux et laids,
Dames à rebrassés collets,
De quelconque condition,
Portant atours et bourrelets,
Mort saisit sans exception.
XL
Et meure ou Pâris ou Hélène,
Quiconque meurt, meurt à douleur
Celui qui perd vent et haleine,
Son fiel se crève sur son coeur,
Puis sue, Dieu sait quel sueur !
Et qui de ses maux si l'allège ?
Car enfant n'a, frère ne soeur
Qui lors vousît être son pleige.
XLI
La mort le fait frémir, pâlir,
Le nez courber, les veines tendre,
Le col enfler, lâcher, mollir,
Jointes, et nerfs croître et étendre.
Corps féminin, qui tant es tendre,
Poli, souef, si précieux,
Te faudra-il ces maux attendre ?
Oui, ou tout vif aller ès cieux.
BALLADE
DES DAMES DU TEMPS JADIS
Dites-moi où, n'en quel pays
Est Flora la belle Romaine,
Archipiades ne Thaïs
Qui fut sa cousine germaine;
Echo, parlant quand bruit on mène
Dessus rivière ou sur étang,
Qui beauté ot trop plus qu'humaine ?
Mais où sont les neiges d'antan ?
Où est la très sage Héloïs,
Pour qui fut châtré et puis moine
Pierre Esbaillart à Saint-Denis ?
Pour son amour ot cette essoine.
Semblablement, où est la roine
Qui commanda que Buridan
Fût jeté en un sac en Seine ?
Mais où sont les neiges d'antan ?
La roine Blanche comme un lis
Qui chantoit à voix de seraine,
Berthe au plat pied, Bietrix, Aliz,
Haramburgis qui tint le Maine,
Et Jeanne, la bonne Lorraine
Qu'Anglois brûlèrent à Rouen;
Où sont-ils, où, Vierge souveraine ?
Mais où sont les neiges d'antan ?
Prince, n'enquerrez de semaine
Où elles sont, ne de cet an,
Qu'à ce refrain ne vous remaine :
Mais où sont les neiges d'antan ?
BALLADE
DES SEIGNEURS DU TEMPS JADIS
Qui plus, où est li tiers Calixte,
Dernier décédé de ce nom,
Qui quatre ans tint le papaliste ?
Alphonse le roi d'Aragon,
Le gracieux duc de Bourbon;
Et Artus le duc de Bretagne,
Et Charles septième le bon ?
Mais où est le preux Charlemagne ?
Semblablement, le roi scotiste
Qui demi face ot, ce dit-on,
Vermeille comme une émastique
Depuis le front jusqu'au menton ?
Le roi de Chypre de renom,
Hélas ! et le bon roi d'Espagne
Duquel je ne sais pas le nom ?
Mais où est le preux Charlemagne ?
D'en plus parler je me désiste;
Ce n'est que toute abusion.
Il n'est qui contre mort résiste
Ne qui treuve provision.
Encor fais une question :
Lancelot le roi de Behaygne,
Où est-il, où est son tayon ?
Mais où est le preux Charlemagne ?
Où est Claquin, le bon Breton ?
Où le comte Dauphin d'Auvergne,
Et le bon feu duc d'Alençon ?
Mais où est le preux Charlemagne ?
BALLADE
EN VIEIL LANGAGE FRANCOIS
Car, ou soit ly sains appostolles
D'aubes vestuz, d'amys coeffez,
Qui ne seint fort saintes estolles
Dont par le col prent ly mauffez
De mal talant tous eschauffez,
Aussi bien meurt que filz servans,
De ceste vie cy brassez :
Autant en emporte ly vens.
Voire, ou soit de Constantinobles
L'emperieres au poing dorez,
Ou de France le roy tres nobles
Sur tous autres roys decorez,
Qui pour luy grant Dieux adorez
Batist esglises et couvens,
S'en son temps il fut honnorez,
Autant en emporte ly vens.
Ou soit de Vienne et Grenobles
Ly Dauphin, le preux, ly senez,
Ou de Digons, Salin et Dolles
Ly sire, filz le plus esnez
Ou autant de leurs gens prenez,
Heraux, trompectes ,poursuivans,
Ont ilz bien boutez soubz le nez ?
Autant en emporte ly vens.
Prince a mort sont tous destinez,
Et tous autres qui sont vivans :
S'ilz en sont courciez n'atinez,
Autant en emporte ly vens.
XLII
Puisque papes, rois, fils de roi
Et conçus en ventres de roines,
Sont ensevelis morts et froids,
En autrui mains passent leurs règnes,
Moi pauvre mercerot de Rennes,
Mourrai-je pas ? Oui. Se Dieu plaît,
Mais que j'aie fait mes étrennes,
Honnête mort ne me déplaît.
XLIII
Ce monde n'est perpétuel,
Quoi que pense riche pillard :
Tous sommes sous mortel coutel.
Le confort prend pauvre vieillard,
Lequel d'être plaisant raillard
Ot le bruit, lorsque jeune étoit,
Qu'on tendroit à fol et paillard,
Se, vieil, à railler se mettoit.
XLIV
Or lui convient-il mendier,
Car à ce force le contraint.
Regrette hui sa mort et hier,
Tristesse son coeur si éteint
Si souvent, n'étoit Dieu qu'il craint,
Il ferait un horrible fait;
Il advient qu'en ce Dieu enfreint,
Et que lui-même se défait.
XLV
Car s'en jeunesse il fut plaisant,
Ores plus rien ne dit que plaise.
Toujours vieil singe est déplaisant,
Moue ne fait qui ne déplaise;
S'il se tait, afin qu'il complaise,
Il est tenu pour fol recru,
S'il parle, on lui dit qu'il se taise,
Et qu'en son prunier n'a pas crû.
XLVI
Aussi ces pauvres femmelette
Qui vieilles sont et n'ont de quoi,
Quand ils voient ces pucelettes
Emprunter, elles, à recoi
Ils demandent à Dieu pourquoi
Si tôt naquirent, n'à quel droit.
Notre Seigneur se tait tout coi,
Car au tancer il le perdroit.
LES REGRETS
DE LA BELLE HËAUMIERE
XLVII
Avis m'est que j'oi regretter
La Belle qui fut hëaumière,
Soi jeune fille souhaiter
Et parler en telle manière :
<< Ha ! vieillesse félonne et fière,
Pourquoi m'as si tôt abattue ?
Qui me tient, qui, que ne me fière,
Et qu'à ce coup je ne me tue ?
XLVIII
<< Tolu m'as ma haute franchise
Que beauté m'avait ordonné
Sur clercs, marchands et gens d'Eglise :
Car lors il n'étoit homme né
Qui tout le sien ne m'eût donné,
Quoi qu'il en fût des repentailles,
Mais que lui eusse abandonné
Ce que refusent truandailles.
XLIX
<< A maint homme l'ai refusé,
Qui n'étoit à moi grand sagesse,
Pour l'amour d'un garçon rusé,
Auquel j'en fis grande largesse.
A qui que je fisse finesse,
Par m'âme, je l'aimoie bien !
Or ne me faisoit que rudesse,
Et ne m'aimoit que pour le mien.
L
<< Si ne me sût tant detraîner,
Fouler aux pieds, que ne l'aimasse,
Et m'eût-il fait les reins traîner,
S'il m'eût dit que je le baisasse,
Que tous mes maux je n'oubliasse !
Le glouton, de mal enteché,
M'embrassoit.... J'en suis bien plus grasse !
Que me reste-il ? Honte et péché.
LI
<< Or est-[il] mort, passé trente ans,
Et je me remains vieille, chenue.
Quand je pense, lasse ! au bon temps,
Que me regarde toute nue,
Qu'elle suis, quelle devenue,
Et je me vois si très changée,
Pauvre, sèche, maigre, menue,
Je suis presque toute enragée.
LII
<< Qu'est devenu ce front poli,
Ces cheveux blonds, sourcils voutis,
Grand entreoeil, ce regard joli,
Dont prenoie les plus subtils;
Ce beau nez droit, grand ne petiz
Ces petites jointes oreilles,
Menton fourchu, clair vis traitiz,
Et ces belles lèvres vermeilles ?
LIII
<< Ces gentes épaules menues,
Ces bras longs et ces mains traitisses,
Petits tétins, hanches charnues,
Elevées, propres, faitisses
A tenir amoureuses lices;
Ces larges reins, ce sadinet
Assis sur grosses fermes cuisses
Dedans son petit jardinet ?
LIV
<< Le front ridé, les cheveux gris,
Les sourcils chus, les yeux éteints,
Qui faisoient regards et ris
Dont maints méchants furent atteints;
Nez courbes, de beauté lointains,
Oreilles pendantes, moussues,
Le vis pâli, mort et déteins,
Menton froncé, lèvres peaussues.....
LV
<< C'est d'humaine beauté l'issue !
Les bras courts et les mains contraites,
Des épaules toute bossue;
Mamelles, quoi ? toutes retraites;
Telles les hanches que les tettes;
Du sadinet, fi ! Quant des cuisses,
Cuisses ne sont plus, mais cuissettes
Grivelée comme saucisses.
LVI
<< Ainsi le bon temps regrettons
Entre nous, pauvres vieilles sottes,
Assises bas, à croupetons,
Tout en un tas comme pelotes,
A petit feu de chenevottes
Tôt allumées, tôt éteintes;
Et jadis fûmes si mignottes !
Ainsi en prend à maints et maintes. >>
BALLADE
DE LA BELLE HËAUMIERE
AUX FILLES DE JOIE
<< Or y pensez, belle Gautière
Qui écolière souliez être,
Et vous, Blanche la Savetière,
Or est-il temps de vous connaître,
Prenez à dêtre ou à senêtre;
N'épargnez homme je vous prie :
Car vieilles n'ont ne cours ne être,
Ne que monnoie qu'on décrie.
<< Et vous, la gente Saucissière
Qui de danser êtes adêtre,
Guillemette la Tapissière,
Ne méprenez vers votre maître :
Tôt vous faudra clore fenêtre,
Quand deviendrez vieille, flétrie :
Plus ne servirez qu'un vieil prêtre,
Ne que monnoie qu'on décrie.
Jeanneton la Chaperonnière,
Gardez qu'ami ne vous empêtre;
Et Catherine la Boursière,
N'envoyez pas les hommes paître;
Car qui belle n'est, ne perpère
Leur male grâce, mais leur rie,
Laide vieillesse amour n'empètre
Ne que monnoie qu'on décrie.
Filles, veuillez vous entremettre
D'écouter pourquoi pleure et crie :
Pour ce que je ne me puis mettre
Ne que monnoie qu'on décrie.