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FRANCOIS VILLON
POESIES
nrf
collection Poésie/Gallimard
( Editions Gallimard 1973;)
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LVII
Cette leçon ici leur baille
La belle et bonne de jadis;
Bien dit ou mal, vaille que vaille,
Enregistrer l'ai fait ces dits
Par mon clerc Fremin l'étourdis,
Aussi rassis que je puis être.
S'il me dément, je le maudis :
Selon le clerc est duit le maître.
LVIII
Si aperçois le grand danger
Ouquel l'homme amoureux se boute;
Et qui ne voudroit laidanger
De ce mot, en disant : << écoute !
Se d'aimer t'étrange et reboute
Le barrat de celle nommées,
Tu fais une bien folle doute,
Car se sont femmes diffamées.
LIX
<< S'ils n'aiment fors que pour l'argent,
On ne les aime que pour l'heure;
Rondement aiment toute gent,
Et rient lors quand bourse pleure.
De celles-ci n'est qui ne queure;
Mais en femmes d'honneur et nom
Franc homme, si Dieu me sequeure,
Se doit employer; ailleurs , non. >>
LX
Je prends qu'aucun die ceci,
Si ne me contente-il en rien.
En effet, il conclut ainsi,
Et je le cuide entendre bien,
Qu'on doit aimer en lieu de bien :
Assavoir mon se ces fillettes
Qu'en paroles toute jour tien,
Ne furent-ils femmes honnêtes ?
LXI
Honnêtes si furent vraiment,
Sans avoir reproches ni blâmes.
Si est vrai qu'au commencement
Une chacune de ces femmes
Lors prirent, ains qu'eussent diffames,
L'une un clerc, un lai, l'autre un moine,
Pour éteindre d'amours leurs flammes
Plus chaudes que feu Saint-Antoine.
LXII
Or firent selon ce Décret
Leurs amis, et bien y apert;
Ils aimoient en lieu secret,
Car autre qu'eux n'y avoir part.
Toutefois, celle amour se part :
Car celle qui n'en avoit qu'un
De celui s'éloigne et départ,
Et aime mieux aimer chacun.
LXIII
Qui les meut à ce ? J'imagine,
Sans l'amour des dames blâmer,
Que c'est nature féminine
Qui tout uniement veut aimer.
Autre chose n'y sais rimer
Fors qu'on dit à Reims et à Trois,
Voire à Lille ou à Saint-Omer,
Que six ouvriers font plus que trois.
LXIV
Or ont ces fols amants le bond
Et les dames pris la volée;
C'est le droit loyer qu'amours ont :
Toute fois y est violée,
Quelque doux baiser n'acolée.
<< De chiens, d'oiseaux, d'armes, d'amours, >>
C'est pure vérité décelée,
<< Pour une joie cent douleurs. >>
DOUBLE BALLADE
Pour ce, aimez tant que vous voudrez,
Suivez assemblées et fêtes,
En la fin ja mieux n'en vaudrez
Et n'y romperez que vos têtes;
Folles amours font les gens bêtes :
Salmon en idolatria,
Samson en perdit ses lunettes.
Bien heureux est qui rien n'y a !
Orpheüs le doux ménétrier,
Jouant de flûtes et musettes
En fut en danger du meurtrier
Chien Cerbérus à quatre têtes;
Et Narcissus, le bel honnêtes,
En un parfond puits se noya
Pour l'amour de ses amourettes.
Bien heureux est qui rien n'y a !
Sardana, le preux chevalier
Qui conquit le règne de Crètes,
En voulut devenir moulier
Et filer entre pucelettes:
David le roi, sage prophètes,
Crainte de Dieu en oublia,
Voyant laver cuisses bien faites.
Bien heureux est qui rien n'y a !
Amon en vout déshonourer,
Feignant de manger tartelettes,
Sa soeur Thamar et déflourer,
Qui fut chose mout, déshonnêtes;
Hérode, pas ne sont sornettes,
Saint Jean-Baptiste en décola
Pour danses, sauts et chansonnettes.
Bien heureux est qui rien n'y a !
De moi, pauvre, je veuil parler :
J'en fus battu comme à ru teles,
Tout nu, ja ne le quiers celer.
Qui me fit mâcher ces groselles,
Fors Catherine de Vaucelles ?
Noël, le tiers, ait, qui fut la
Mitaines à ces noces telles !
Bien heureux est qui rien n'y a !
Mais que ce jeune bacheler
Laissât ces jeunes bachelettes ?
Non ! et le dût-on brûler
Comme un chevaucheur d'écouvettes.
Plus douces lui sont que civettes;
Mais toutefois fol s'y fia :
Soient blanches, soient brunettes,
Bien heureux est qui rien n'y a !
LXV
Se celle que jadis servoie
De si bon coeur et loyaument,
Dont tant de maux et griefs j'avoie,
Et souffroie tant de tourments,
Sa volonté ( mais nenni, las ! ),
J'eusse mis peine aucunement
De moi retraire de ses lacs.
LXVI
Quoi que je lui vouisse dire,
Elle étoit prête d'écouter
Sans m'accorder ne contredire;
Qui plus, me souffroit acouter
Joignant d'elle, près sacouter,
Et ainsi m'alloit amusant,
Et me souffroit tout raconter;
Mais ce n'étoit qu'en m'abusant.
LXVII
Abusé m'a et fait entendre
Toujours d'un que ce fût un autre;
De farine, que ce fût cendre;
D'un mortier, un chapeau de fautre;
De vieil machefer que fût peautre;
D'ambesas que c'étoient ternes;
( Toujours trompoit ou moi ou autre
Et rendoit vessies pour lanternes );
LXVIII
Du ciel, une poêle d'arain;
Des nues, une peau de veau;
Du matin, que ce soit le serein;
D'un trognon de chou, naveau;
D'orde cervoise, vin nouveau;
D'une truie, un moulin à vent;
Et d'une hart, un écheveau;
D'un gras abbé, un poursuivant.
LXIX
Ainsi m'ont Amours abusé
Et pourmené de l'huis au pêle.
Je crois qu'homme n'est si rusé,
Fût fin comme argent de coupelle,
Qui n'y laissât linge, drapelle,
Mais qu'il fût ainsi manié
Comme moi, qui partout m'appelle
L'amant remis et renié.
LXX
Je renie Amours et dépite
Et défie à feu et à sang.
Mort par elles me précipite,
Et ne leur en chaut pas d'un blanc,
Ma vielle ai mis sous le banc;
Amants je ne suivrai jamais :
Se jadis je fus de leur rang,
Je déclare que n'en suis mais.
LXXI
Car j'ai mis le plumail au vent,
Or le suive qui a attente.
De ce me tais dorénavant,
Poursuivre je veuil mon entente.
Et s'aucun m'interroge ou tente
Comment d'Amour j'ose médire,
Cette parole le contente :
Qui meure, a ses lois de tout dire.
LXXII
Je connois approcher ma seuf;
Je crache blanc comme coton
Jacopins gros comme un éteuf.
Qu'est-ce à dire ? Que Jeanneton
Plus ne me tient pour valeton,
Mais pour un vieil usé roquard :
De vieil porte voix et le ton,
Et ne suis qu'un jeune coquard.
LXXIII
Dieu merci et Tacque Thibaut
Qui tant d'eau froide m'a fait boire,
En un bas, non pas en un haut,
Manger d'angoisse mainte poire,
Enferré.... Quand j'en ai mémoire,
Je pri pour lui et reliqua
Que Dieu lui doint, et voire, voire !
Ce que je pense.... et cetera.
LXXIV
Toutefois, je n'y pense mal
Pour lui, et pour son lieutenant,
Aussi pour son official
Qui est plaisant et avenant;
Que faire n'ai du remenant,
Mais du petit maître Robert :
Je les aime tout d'un tenant
Ainsi que fait Dieu le Lombard.
LXXV
Si me souvient bien, à mon avis,
Que je fis à mon partement
Certains lais, l'an cinquante-six,
Qu'aucuns, sans mon consentement,
Voulurent nommer Testament;
Leur plaisir fut, non pas le mien.
Mais quoi ? on dit communément :
Un chacun n'est maître du sien.
LXXVI
Pour les révoquer ne le dis,
Et y courût toute ma terre;
De pitié ne suis refroidis
Envers le Bâtard de la Barre :
Parmi ses trois gluyons de feurre,
Je lui donne mes vieilles nattes;
Bonnes seront pour tenir serre
Et soi soutenir sur ses pattes.
LXXVII
S'ainsi étoit qu'aucun n'eût pas
Reçu le lais que je lui mande,
J'ordonne qu'après mon trépas
A mes hoirs en face demande.
Mais qui sont-ils ? S'il le demande,
Moreau, Provins, Robin Turgis,
De moi, dites que je leur mande,
Ont eu jusqu'au lit où je gis.
LXXVIII
Somme, plus ne dirai qu'un mot,
Car commencer veuil à tester :
Devant mon clerc Fremin qui m'ot,
S'il ne dort, je veuil protester
Que n'entends hommes détester
En cette présente ordonnance,
Et ne la veuil manifester
Sinon ou royaume de France.
LXXIX
Je sens mon coeur qui s'affaiblit
Et plus je ne puis papier.
Fremin, sieds-toi près de mon lit,
Que l'on ne m'y vienne épier;
Prends encre tôt, plume et papier;
Ce que nomme écris vitement,
Puis fais-le partout copier;
Et veci le commencement.
LXXX
Ou nom de Dieu, Père éternel
Et du fils que Vierge parit,
Dieu au Père coéternel,
Ensemble et le Saint-Esperit
Qui sauva ce qu'Adam périt,
Et du péri pare ses cieux.
Qui bien ce croit, peu ne mérit,
Gens morts être faits petits dieux.
LXXXI
Morts étoient, et corps et âmes,
En damnée perdition,
Corps pourris et âmes en flammes,
De quelconque condition.
Toutefois, fais exception
Des patriarches et prophètes;
Car, selon ma conception,
Onques grand chaud n'eurent aux fesses.
LXXXII
Qui me diroit : << Qui te fait mettre
Si très avant cette parole,
Qui n'êtes en théologie maître ?
A vous est présomption folle ! >>,
C'est de Jésus la parabole
Touchant le Riche enseveli
En feu, non pas en couche molle,
Et du Ladre de dessus li.
LXXXIII
Se du Ladre eût vu le doigt ardre,
Ja n'en eût requis refrigere,
N'au bout d'icelui doigt aerdre,
Pour rafraîchir sa mâchouere.
Pions y feront mate chère,
Qui boivent pourpoint et chemise.
Puisque boiture y est si chère,
Dieu nous garde de la main mise !
LXXXIV
Ou nom de Dieu, comme j'ai dit,
Et de sa glorieuse Mère,
Sans péché soit parfait ce dit
Par moi, plus maigre que chimère;
Se je n'ai eu fièvre éphémère,
Ce m'a fait divine clémence,
Mais d'autre deuil et peine amère
Je me tais, et ainsi commence.
LXXXV
Premier, je doue de ma pauvre âme
La glorieuse Trinité,
Et la commande à Notre Dame,
Chambre de la divinité,
Priant toute la charité
Des dignes neuf Ordres des Cieux
Que par eux soit ce don porté
Devant le Trône précieux.
LXXXVI
Item, mon corps j'ordonne et laisse
A notre grand mère la terre;
Les vers n'y trouveront grand graisse,
Trop lui a fait faim dure guerre.
Or lui soit délivré grand erre :
De terre vint, en terre tourne;
Toute chose, se par trop n'erre,
Volontiers en son lieu retourne.
LXXXVII
Item, et à mon plus que père,
Maître Guillaume de Villon,
Qui m'a été plus doux que mère
A cet enfant levé le maillon :
Dejeté m'a de maint bouillon
Et de cetui pas ne s'éjoie,
Si lui requiers à genouillon
Qu'il m'en laisse toute la joie;
LXXXVIII
Je lui donne ma librairie
Et le Roman du Pet au Diable
Lequel maître Guy Tabarie
Grossa, qui est hom véritable.
Par cayeux est sous une table;
Combien qu'il soit rudement fait,
La matière est si très notable
Qu'elle amende tout le méfait.
LXXXIX
Item, donne à ma pauvre mère
Pour saluer notre Maîtresse,
Qui pour moi ot douleur amère,
Dieu le sait, et mainte tristesse :
Autre châtel n'ai ne fortresse
Où me retraye corps et âme,
Quand sur moi court male détresse,
Ne ma mère, la pauvre femme !
BALLADE
POUR PRIER NOTRE DAME
Dame du ciel, régente terrienne,
Emperière des infernaux palus,
Recevez-moi votre humble chrétienne,
Que comprise soie entre vos élus,
Ce nonobstant qu'onques rien ne valus.
Les biens de vous, ma Dame et ma Maîtresse,
Sont trop plus grands que ne suis pécheresse,
Sans lesquels biens âme ne peut mérir
N'avoir les cieux. Je n'en suis jangleresse :
En cette foi je veuil vivre et mourir.
A votre Fils dites que je suis sienne;
De lui soient mes péchés abolus;
Pardonne moi comme à l'Egyptienne
Ou comme il fit au clerc Theophilus,
Lequel par vous fut quitte et absolus
Combien qu'il eût au diable fait promesse.
Préservez-moi que ne fasse jamais ce,
Vierge portant, sans rompure encourir,
Le sacrement qu'on célèbre à la messe :
En cette foi je veuil vivre et mourir.
Femme je suis pauvrette et ancienne,
Qui rien de sais, oncques lettres ne lus.
Au moutier vois; dont suis paroissienne,
Paradis peint où sont harpes et luth,
Et un enfer où damnés sont bouillus :
L'un me fait peur, l'autre joie et liesse.
La joie avoir me fais, haute déesse,
A qui pécheurs doivent tous recourir,
Comblés de foi, sans feinte ne paresse :
En cette foi je veuil vivre et mourir.
Vous portâtes, digne Vierge, princesse,
Iésus régnant qui n'a ne fin ne cesse.
Le Tout-Puissant, prenant notre faiblesse,
Laissa les cieux et nous vint secourir,
Offrit à mort sa très clère jeunesse;
Notre Seigneur tel est, tel le confesse :
En cette foi je veuil vivre et mourir.
XC
Item, m'amour, ma chère rose,
Ne lui laisse ne coeur ne foie :
Elles aimeroit mieux autre chose,
Combien qu'elle ait assez monnoie.
Quoi ? une grand bourse de soie,
Pleine d'écus, parfonde et large :
Mais pendu soit-il, que je soie,
Qui lui laira écus ne targe.
XCI
Car elle en a, sans moi, assez.
Mais de cela il ne m'en chaut;
Mes plus grands deuils en sont passés,
Plus n'en ai le croupion chaud.
Si m'en démets aux hoirs Michaut
Qui fut nommé le bon Fouterre;
Priez pour lui, faites un saut :
A Saint-Satur gît, sous Sancerre.
XCII
Ce nonobstant, pour m'acquitter
Envers Amour, plus qu'envers elle,
Car oncques n'y pus aquêter
D'amours une seule étincelle
( Je ne sais s'à tous si rebelle
A été, ce m'est grand émoi :
Mais par sainte Marie la belle !
Je n'y vois que rire pour moi ),
XCIII
Cette ballade lui envoie
Qui se termine tout par R.
Qui lui portera ? Que je voie....
Ce sera Pernet de la Barre,
Pourvu, s'il rencontre en son erre
Ma demoiselle au nez tortu,
Il lui dira, sans plus enquerre :
<< Triste paillarde, dont viens tu ? >>
BALLADE A S'AMIE
Fausse beauté qui tant me côute cher,
Rude en effet, hypocrite douleur,
Amour dure plus que fer à mâcher,
Nommer que puis, de ma défaçon seur,
Cherme félon, la mort d'un pauvre coeur,
Orgueil mussé qui gens met au mourir,
Yeux sans pitié, ne veut Droit de Rigueur,
Sans empirer, un pauvre secourir ?
Mieux m'eût valu avoir été sercher
Ailleurs secours, c'eût été mon honneur;
Rien ne m'eût su hors de ce fait hâcher
Trotter m'en faut en fuite et déshonneur.
Haro, haro, le grand et le mineur !
Et qu'est-ce ci ? Mourrai sans coup férir ?
Ou Pitié veut, selon cette teneur,
Sans empirer, un pauvre secourir ?
Un temps viendra qui fera dessécher
Jaunir, flétrir votre épanie fleur;
Je m'en risse, se tant pusse mâcher,
Las ! mais nenni, ce seroit donc foleur :
Vieil je serai, vous laide, sans couleur
Or buvez fort, tant que ru peut courir;
Ne donnez pas à tous cette douleur,
Sans empirer, un pauvre secourir.
Prince [amoureux], des amants le graigneur
Votre mal gré ne voudroie encourir,
Mais tout franc coeur doit, par Notre Seigneur,
Sans empirer, un pauvre secourir.
XCIV
Item, à maître Ythier Marchant,
Auquel mon brant laissai jadis,
Donne, mais qu'il le mette en chant,
Ce lai contenant des vers dix,
Et, au luth, un De profundis
Pour ses anciennes amours
Desquelles le nom je ne dis,
Car il me hairoit à tous jours.
RONDEAU
Mort, j'appelle de ta rigueur,
Qui m'as ma maîtresse ravie,
Et n'es pas encore assouvie
Se tu ne me tiens en langueur :
Onc puis n'eus force ne vigueur;
Mais que te nuisoit-elle en vie,
Mort ?
Deux étions et n'avions qu'un coeur;
S'il est mort, force est que dévie,
Voire, ou que je vive sans vie
Comme les images, par coeur,
Mort !
XCV
Item, à maître Jean Cornu
Autre nouveau lais lui veuil faire,
Car il m'a toujours secouru
A mon grand besoin et affaire :
Pour ce, le jardin lui transfère
Que maître Pierre Baubignon
M'arenta en faisant refaire
L'huis et redresser le pignon.
XCVI
Par faute d'un huis, j'y perdis
Un grès et un manche de houe.
Alors huit faucons, non pas dix
N'y eussent pas pris une aloue.
L'hôtel est sûr, mais qu'on le cloue.
Pour enseigne y est mis un havet;
Et qui l'ait pris, point ne m'en loue :
Sanglante nuit et bas chevet !
XCVII
Item, et pour ce que la femme
De maître Pierre Saint-Amant
( Combien, se coulpe y a à l'âme,
Dieu lui pardonne doucement ! )
Me mit ou rang de caïmant,
Pour le Cheval Blanc qui ne bouge
Lui changeai à une jument,
Et la Mule à un âne rouge.
XCVIII
Item, donne à sire Denis
Hesselin, élu de Paris,
Quatorze muids de vin d'Aunis
Pris sur Turgis à mes périls.
S'il en buvoit tant que péris
En fût son sens et sa raison,
Qu'on mette de l'eau ès barils :
Vin perd mainte bonne maison.
XCIX
Item, donne à mon avocat,
Maître Guillaume Charruau,
Quoi ? Que Marchant ot pour état,
Mon brant; je me tais du fourreau.
Il aura, avec ce, un reau
En change, afin que sa bourse enfle,
Pris sur la chaussée et carreau
De la grand clôture du Temple.
C
Item, mon procureur Fournier
Aura pour toutes ses corvées
( Simple sera de l'épargner )
En ma bourse quatre havée,
Car maintes causes m'a sauvées,
Justes, ainsi Jésus-Christ m'aide !
Comme telles se sont trouvées;
Mais du bon droit a bon métier d'aide.
CI
Item, je donne à maître Jacques
Raguier le Grand Godet de Grève,
Pourvu qu'il paiera quatre plaques
( Dû-il vendre, quoi qu'il lui grève,
Ce dont on couvre mol et grève,
Aller nues jambes en chapin ),
Se sans moi boit, assied ne lève,
Au trou de la Pomme de Pin.
CII
Item, quant est de Merebeuf
Et de Nicolas de Louviers,
Vache ne leur donne ne boeuf,
Car vachers ne sont ne bouviers,
Mais chiens à porter éperviers
( Ne cuidez pas que je me joue )
Et pour prendre perdrix, plouviers,
Sans faillir, sur la Machecoue.
CIII
Item, vienne Robin Turgis
A moi, je lui paierai son vin;
Combien, s'il trouve mon logis,
Plus fort sera que le devin.
Le droit lui donne d'échevin,
Que j'ai comme enfant de Paris :
Se je parle un peu poitevin,
Ice m'ont deux dames appris.
CIV
Elles sont très belles et gentes,
Demeurant à Saint-Génerou,
Près Saint-Julien-de-Voventes,
Marche de Bretagne à Poitou.
Mais i ne di proprement ou
Iquelles passent tous les jours;
M'arme ! i ne seu mie si fou,
Car i veuil celer mes amours.
CV
Item, à Jean Raguier je donne,
Qui est sergent, voire des douze,
Tant qu'il vivra, ainsi l'ordonne,
Tous les jours une tallemouse,
Pour bouter et fourrer sa mouse,
Prise à la table de Bailly;
A Maubué sa gorge arrouse,
Car au manger n'a pas failli.
CVI
Item, et au Prince des Sots
Pour un beau sot Michaut du Four,
Qui à la fois dit de bons mots
Et chante bien << Ma douce amour ! >>
Je lui donne avec le bonjour;
Bref, mais qu'il fût un peu en point,
Il est un droit sot de sejour,
Et est plaisant ou il n'est point.
CVII
Item, aux Onze-vingts Sergents
Donne, car leur fait est honnête
Et sont bonnes et douces gens,
Denis Richer et Jean Vallette,
A chacun une grande cornette.....
Pour pendre..... à leurs chapeaux de fautres;
J'entends à ceux à pied, hohette !
Car je n'ai que faire des autres.
CVIII
Derechef, donne à Perrenet.....
J'entends le Bâtard de la Barre,
Pour ce qu'il est beau fils et net,
En son écu, en lieu de barre,
Trois dés plombés, de bonne carre,
Et un beau joli jeu de cartes.
Mais quoi ? s'on l'ot vessir ne poirre,
CIX
Item, ne veuil que Cholet
Dole, tranche, douve ne boise,
Relie broc ne tonnelet,
Mais tous ses outils changer voise
A une épée lyonnoise,
Et retienne le hutinet :
Combien qu'il aime bruit ne noise,
Si lui plaît-il un tantinet.
CX
Item, je donne à Jean le Loup,
Homme de bien et bon marchand,
Pour ce qu'il est linget et flou,
Et que Cholet est mal serchant
Par les rues plutôt qu'au champ
Qu'il ne laira poulaille en voie,
Le long tabart et bien cachant
Pour les musser, qu'on ne les voie.
CXI
Item, à l'Orfèvre de bois
Donne cent clous, queues et tête,
De gingembre sarrasinois,
Non pas pour accoupler ses boetes,
Mais pour joindre culs et quoettes,
Et coudre jambons et andouilles,
Tant que le lait en monte aux tettes
Et le sang en dévale aux couilles.
CXII
Au capitaine Jean Riou,
Tant pour lui que pour ses archers,
Je donne six hures de loup
Qui n'est pas viande de porchers,
Pris à gros mâtins de bouchers,
Et cuites en vin de buffet.
Pour manger de ces morceaux chers,
On en feroit bien un malfait.
CXIII
C'est viande un peu plus pesante
Que duvet n'est, plume ne liège;
Elle est bonne à porter en tente,
Ou pour user en quelque siège.
S'ils étaient pris à un piège,
Que les mâtins ne sussent courre,
J'ordonne, moi qui suis son miège,
Que des peaux, sur l'hiver, se fourre.
CXIV
Item, à Robinet Trouscaille,
Qui en service ( c'est bien fait )
A pied ne va comme une caille,
Mais sur roncin gros et refait,
Je lui donne, de mon buffet,
Une jatte qu'emprunter n'ose;
Si aura ménage parfait :
Plus ne lui failloit autre chose.
CXV
Item, donne à Perrot Girart,
Barbier juré de Bourg-la-Reine,
Deux bassins et un coquemart,
Puisqu'à gagner met telle peine.
Des ans y a demi-douzaine
Qu'en son hôtel de cochons gras
M'apâtela une semaine,
Témoin l'abbesse de Pourras.
CXVI
Item, aux Frères mendiants,
Aux Dévotes et aux Béguines,
Tant de Paris que d'Orléans,
Tant Turlupins que Turlupines,
De grasses soupes jacopines
Et flans leur fais oblation;
Et puis après, sous les courtines,
Parler de contemplation.
CXVII
Ce ne suis-je pas qui leur donne,
Mais de tous enfants sont les mères,
Et Dieu, qui ainsi les guerdonne,
Pour qui souffrent peines amères.
Il faut qu'ils vivent, les beaux pères,
Et mêmement ceux de Paris.
S'ils font plaisir à nos commères,
Ils aiment ainsi leurs maris.
CXIX
Si me soumets, leur serviteur
En tout ce que puis faire et dire,
A les honorer de bon coeur
Et obéir, sans contredire;
L'homme bien fol est d'en médire,
Car, soit à part ou en prêcher
Ou ailleurs, il ne faut pas dire :
Ces gens sont pour eux revancher.
CXX
Item, je donne à frère Baude,
Demeurant en l'hôtel des Carmes,
Portant chère hardie et baude,
Une salade et deux guisarmes,
Que Detusca et ses gendarmes
Ne lui riblent sa Cage vert.
Vieil est : s'il ne se rend aux armes,
C'est bien le diable de Vauvert.
CXXI
Item, pour ce que le scelleur
Maint étron de mouche a mâché,
Donne, car homme est de valeur,
Son sceau d'avantage craché,
Et qu'il ait le pouce écaché
Pour tout empreindre à une voie;
J'entends celui de l'Evêché,
Car les autres, Dieu les pourvoie !
CXXII
Quant des auditeurs messeigneurs,
Leur granche ils auront lambroissée;
Et ceux qui ont les culs rogneux,
Chacun une chaize percée;
Mais qu'à la petite Macée
D'Orléans, qui ot ma ceinture,
L'amende soit bien tauxée :
Elle est une mauvaise ordure.
CXXIII
Item, donne à maître François,
Promoteur, de la Vacquerie
Un haut gorgerin d'Ecossois,
Toutefois sans orfaverie;
Car, quand reçut chevalerie,
Il maugréa Dieu et saint George,
Parler n'en oit qui ne s'en rie,
Comme enragé, à pleine gorge.
CXXIV
Item, à maître Jean Laurens,
Qui a les pauvres yeux si rouges
Pour le péché de ses parents
Qui burent en barils et courges,
Je donne l'envers de mes bouges
Pour tous les matins les torcher :
S'il fût archevêque de Bourges,
De cendal eût, mais il est cher.
CXXV
Item, à maître Jean Cotart
Mon procureur en cour d'Eglise,
Devoie environ un patart
( Car à présent bien m'en avise )
Quand chicaner me fit Denise,
Disant que l'avoie maudite;
Pour son âme, qu'ès cieux soit mise;
Cette oraison j'ai ci écrite.
BALLADE ET ORAISON
Père Noé, qui plantâtes la vigne,
Vous aussi, Loth, qui bûtes ou rocher,
Par tel parti qu'Amour qui gens engigne
De vos filles si vous fit approcher
(Pas ne le dis pour vous le reprocher),
Archetriclin, qui bien sûtes cet art,
Tous trois vous pri que vous veuillez pêcher
L'âme du bon feu maître Jean Cotart !
Jadis extrait il fut de votre ligne,
Lui qui buvoit du meilleur et plus cher,
Et ne dût-il avoir vaillant un pigne;
Certes, sur tous, c'étoit un bon archer :
On ne lui sut pot des mains arracher;
De bien boire oncques ne fut fêtart.
Nobles seigneurs, ne souffrez empêcher
L'âme du bon feu maître Jean Cotart !
Comme homme vieil qui chancelle et trépigne,
L'ai vu souvent, quand il s'alloit coucher,
Et une fois il se fit une bigne,
Bien m'en souvient, pour la pie juchier;
Bref, on n'eût su en ce monde cercher
Meilleur pïon, pour boire tôt ou tard.
Faites entrer quand vous orrez hucher
L'âme du bon feu maître Jean Cotart !
Prince, il n'eût su jusqu'à terre cracher;
Toujours crioit : << Haro ! la gorge m'ard . >>
Et si ne sut onc sa seuf étancher
L'âme du bon feu maître Jean Cotart .
CXXVI
Item, veuil que le jeune Marle
Désormais gouverne mon change,
Car de changer envis me mêle,
Pourvu que toujours baille en change,
Soit à privé, soit à étrange,
Pour trois écus six brettes targes,
Pour deux angelots un grand ange;
Car amants doivent être larges.
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