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POEME A CRIER DANS LES RUINES

Dernière mise à jour : 29 mai 2023


Recueil : "La Grande Gaîté" - 1929 (Edition Gallimard)


Tous deux crachons tout deux

Sur ce que nous avons aimé

Sur ce que nous avons aimé tous deux

Si tu veux car ceci tous deux

Est bien un air de valse et j'imagine

Ce qui se passe entre nous de sombre et d'inégalable

Comme un dialogue de miroirs abandonnés

A la consigne quelque part Foligno peut-être

Ou l'Auvergne la Bourboule

Certains noms sont chargés d'un tonnerre lointain

Veux-tu crachons tous deux sur ces pays immenses

Où se promènent de petites automobiles de louage

Veux-tu car il faut que quelque chose encore

Quelque chose

Nous réunisse veux-tu crachons

Tous deux c'est une valse

Une espèce de sanglots commode

Crachons crachons de petites automobiles

Crachons c'est la consigne

Une valse de miroirs

Un dialogue nulle part


Ecoute ces pays immenses où le vent

Pleure sur ce que nous avons aimé

L'un d'eux est un cheval qui s'accoude à la terre

L'autre un mort agitant un linge l'autre

La trace de tes pas Je me souviens d'un village désert

A l'épaule d'une montagne brûlée

Je me souviens de ton épaule

Je me souviens de ton coude

Je me souviens de ton linge

Je me souviens de tes pas

Je me souviens d'une ville où il n'y a pas de cheval

Je me souviens de ton regard qui a brûlé

Mon coeur désert un mort Mazeppa qu'un cheval

Emporte devant moi comme ce jour dans la montagne

L'ivresse précipitait ma course à travers les chênes martyrs

Qui saignaient prophétiquement tandis

Que le jour faiblissait sur des camions bleus

Je me souviens de tant de choses

De tant de soirs

De tant de chambres

De tant de marches

De tant de colères

De tant de haltes dans des lieux nuls

Où s'éveillait pourtant l'esprit du mystère pareil

Au cri d'un enfant aveugle dans une gare frontière

Je me souviens


Je parle donc au passé

Que l'on rie

Si le coeur vous en dit du son de mes paroles

Aima Fut Vint Caressa

Ô violences violences je suis un homme hanté

Attendit attendit puits profonds

J'ai cru mourir d'attendre

Le silence taillait des crayons dans la rue

Ce taxi qui toussait s'en va crever ailleurs

Attendit les voix étouffées

Devant la porte le langage des portes

Hoquet des maisons attendit

Les objets familiers prenaient à tour de rôle

Attendit l'aspect fantomatique Attendit

Des forçats évadés Attendit

Attendit Non de Dieu

D'un bagne de lueurs et soudain

Non Stupide Non

Idiot

La chaussure a foulé la laine du tapis

Je rentre à peine

Aima aima aima mais tu ne peux pas savoir combien

Aima c'est au passé

Aima aima aima aima aima

Ô violences


Ils en ont de bonnes ceux

Qui parlent de l'amour comme d'une histoire de cousine

Ah merde pour tout ce faux-semblant

Sais-tu quand cela devient vraiment une histoire

L'amour

Sais-tu

Quand toute respiration tourne à la tragédie

Quand les couleurs du jour sont ce que les fait un rire

Un air une ombre d'ombre un nom jeté

Que tout brûle et qu'on sait au fond

Que tout brûle

Et qu'on dit Que tout brûle

Et le ciel a le goût du sable dispersé

L'amour salauds l'amour pour vous

C'est d'arriver à coucher ensemble

D'arriver

Et après Ha ha tout l'amour est dans ce

Et après

Nous arrivons à parler de ce que c'est que de

Coucher ensemble pendant des années

Entendez-vous

Pendant des années

Pareille à des voiles marines qui tombent

Sur le pont d'un navire chargé de pestiférés

Dans un film que j'ai vu récemment

Une à une

La rose blanche meurt comme la rose rouge

Qu'est-ce donc qui m'émeut à un pariel point

Dans ces derniers mots

Le mot dernier peut-être mot en qui

Tout est atroce atrocement irréparable

Et déchirant Mot panthère Mot éléctrique

Chaise

Le dernier mot d'amour imaginez-vous ça

Et le dernier baiser et la dernière

Nonchalance

Et le dernier sommeil Tiens c'est drôle

Je pensais simplement à la dernière nuit

Ah tout prend ce sens abominable

Je voulais dire les derniers instants

Les derniers adieux le dernier soupir

Le dernier regard

L'horreur l'horreur l'horreur

Pendant des années l'horreur


Crachons veux-tu bien

Sur ce que nous avons aimé ensemble

Crachons sur l'amour

Sur nos lits défaits

Sur notre silence et sur les mots balbutiés

Sur les étoiles fussent-elles

Tes yeux

Sur le soleil fût-il

Tes dents

Et sur notre amour

Fût-il

TON amour


Crachons veux-tu bien
























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