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MOSCOU DES BOUGES
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traduit par GABRIEL AROUT
LES EDITIONS DE MINUIT (1967)
C'est maintenant décidé sans retour !
J'abandonne mes champs familiers
Je n'entendrai plus alentour
Les feuillages ailés des peupliers.
Ma maison basse, sans moi, se recroqueville;
Mon vieux chien, depuis longtemps, est mort.
Dans les rues sinueuses de cette ville
Je n'ai plus qu'à attendre mon sort.
Je t'adore, Moscou archaïque,
Bien que vieille et un peu décatie
Sur les coupoles de tes basiliques
Dort la splendeur rêveuse de l'Asie....
Et quand la nuit, la lune s'éclaire
Et qu'elle brille le diable sait comment !
Je m'en vais la tête en bandoulière
Vers ma taverne, à pas pesants.
Cris et bruits dans ce sombre taudis,
Mais toute la nuit jusqu'au matin
Je trinque avec des bandits
Et je lis mes vers aux putains.
Mon coeur bat, plus rapide et plus fort,
Et je titube dans mes discours :
<< J'ai plus de chemin de retour.
Ma maison basse loin de moi se recroqueville
Mon vieux chien, depuis longtemps, est mort.
Dans les rues sinueuses de cette ville
Je n'ai plus qu'à attendre mon sort. >>
Ils sont là, à se battre et à boire,
Au sont de l'accordéon lancinant,
A maudire leurs malheurs, leurs déboires,
A évoquer la Moscou d'antan.
Et moi-même, la tête baissée,
Je barbouille mes yeux de vin,
Pour changer un instant mes pensées,
Pour brouiller mon regard devin.
Aujourd'hui, il sont gais pour de vrai !
A pleins bords alcool et vodka !
L'accordéoniste au nez effrondré
Chante la Vodka et la Tchéka.
Quelque chose de dur dans les regards,
D'insoumis dans leurs rude discours .....
Pitié pour ceux, dont un coup de hasard
A gâché la jeunesse pour toujours ?
Regrettent-ils d'Octobre les tempêtes,
Dont les bourrasques les ont trompés ?
Dans leurs bottes, d'une violence toujours prête
L'acier de leurs couteaux est trempé.
Où sont-ils, ceux des grandes routes ?
Nos rayons les ont-ils éclairés ?
L'accordéoniste a eu sa déroute,
A la vodka il soigne ses plaies.
Non, ils ne sont pas de ceux qui plient,
Têtes brûlées d'un monde pourri
O Russie, ma pauvre Russie,
Mon asiatique pays !
Gaze, gaze, accordéoniste,
Roule la vague de tes doigts,
Chienne, viens boire, je suis triste, triste,
Je te dis, bois avec moi !
D'amour on t'a saoulée
Jusqu'au dégoût. Tu est là, veule
A m'éclabousser de ton regard bleu,
Veux-tu que je te casse la gueule ?
Ta place est dans un potager,
Epouvantail à corbeaux.
Jusqu'au foie vous m'avez rongé
Toi et ton sale troupeau !
Gaze, accordéon, vite, vite !
Bois, chienne, bois !
Moi, c'est plutôt l'autre qui m'excite,
La stupide aux gros nichons, là-bas.
Ah, j'en ai connu des gonzesses
Tant et plus.
Mais de ton espèce
Je n'en ai jamais vu.
Plus ça fait mal, plus ça claque,
De mes jours la coupole rose brille....
Mon coeur de rêves d'or était plein
En ai-je embrassé de belles filles.
En ai-je peloté dans les coins.
Je connais cette vérité amère,
Gamin, j'en ai eu la primeur !
Rut des chiens excités, qui flairent
Une chienne en chaleur.
Alors pourquoi suis-je jaloux, de grâce ?
Dis, pourquoi en suis-je malade ?
Notre vie, c'est un lit de passe,
Des baisers à la régalade.
Chante, chante, exagère, outre
Cette ronde endiablée de tes doigts
Mais, sais-tu, qu'ils aillent tous se faire foutre,
Ami, je ne mourrai jamais, moi !
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LE VOYOU
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traduit par GABRIEL AROUT
LES EDITIONS DE MINUIT (1967)
De pinceaux mouillés, la pluie balaye
Le crottin des saules dans les prés.
Crache, vent, ta chique de feuilles
Comme toi je ne suis qu'un dévoyé.
J'aime lorsque les forêts sauvages
Roulent comme des boeufs de leur pas lourd,
Les ventres crissant de leurs feuillages
En souillant leurs troncs jusqu'aux genoux.
Le voilà mon troupeau roux qui passe.
Qui saurait le chanter mieux que moi,
Dans le crépuscule qui efface
De sa langue, la trace de nos pas ?
O Russie, Russie des bois, je t'aime,
Ne suis-je pas ton seul amant, ton chantre ?
La tristesse animal de mes poèmes,
Je l'ai nourrie de réséda et de menthe.
Minuit, lune, sort ton broc, laitière,
Viens traire le lait blanc de tes bouleaux.
Des bras de ses croix, le cimetière
Semble vouloir étrangler le hameau.
Et la crainte va sur les collines,
S'introduit, comme un voleur, dans mon jardin,
Mais j'en suis, de cette race féline,
Un voyou et un bandit des grands chemins.
Dans les nuits ardentes de l'été,
Bout des merisiers touffus, le sang,
J'aurai dû guetter et matraquer
Dans la steppe sombre les passants.
Le buisson de ma tête est fané
Enlisé dans la prison des rimes.
Au bagne des son, je suis condamné
A tourner les meules des poèmes.
Ne te trouble pas, vent fou qui m'emportes,
Crache en paix ta chique dans les champs.
On m'appelle << poète >> , qu'importe,
Je demeure un voyou dans mes chants.
Ni prières, ni regrets, ni larmes,
Tout s'en va comme un pollen léger.
Pris par ce déclin doré, qui fane
Ma jeunesse, je n'ai pu la protéger.
Tu ne battras plus, comme naguère,
Coeur, qu'un frisson froid a parcouru,
Et le pays des bouleaux et du ciel clair
Ne me verra plus marcher pieds nus.
Ame errante ! chaque jour plus rare,
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