SANS FAMILLE
On a changé ce matin le papier à roses de ma chambre d'hôtel
Pour un papier à grenouilles Sans
Que personne soit entré sinon
Un souvenir habillé dans une robe très fraîche toute blanche
Ces batraciens ont conclu contre l'apparition lumineuse
Une ligue pour la chasser de ma mémoire
On ne s'entend plus Quel tintamarre
Et jusqu'au Crapaud Téléphone qui co
Asse
Mon crayon qui se cache Cependant
Je revois le chemin désert entre des jardins étranges
En pleine démolition
Ce quartier de Paris personne ne pourrait le reconnaître
Des sphinx blancs ont surgi de la mousse vers le ciel
Alors dans la venelle
Pareille à la course du facteur de porte en porte
Pareille aux reprises de la respiration dans les sanglots
A nos pieds la Seine avait l'air
D'une tisane renversée
Sur le chapeau qu'est-ce qui paraissait être des cerises
Dans les yeux qu'est-ce qui paraissait être de l'amour
Ses deux mains étaient la flamme et la neige
Et quand elle eut versé sur ma bouche l'alcool
De l'incendie
Je la saluai par son nom la Provocation
Que les marais des murs se taisent
Plombs muets joncs imaginaires
Ce quartier de Paris personne ne pourrait le reconnaître
Elle me dit du milieu de sa blancheur
Cette robe est assez mince pourquoi vouloir
L'écarter ne peux-tu
M'aimer ainsi
Idole ô véritable idole je t'ai rendu
Le culte exigé j'ai souillé ta robe
Un soir d'été voilà bien longtemps
Sans doute suis-je enclin comme personne
A ces dévastations de mon amour
Il y a n'en doutez pas un abîme sexuel
Entre les braves gens et moi
Toute ma vie
J'ai gravement répandu mon foutre inutile
Comme un feu qu'on allume au bord d'une mer sans navire
Peut-être qu'un signe dans les étoiles
A répondu parfois à mes baisers perdus
Je ne le saurai pas Je ne garde
Que deux ou trois images convulsives
Des femmes que j'ai mortellement aimées
Maladroit naufrageur ton trésor réside
Dans quelques bouts de chiffons jugés sans valeur
Toutefois tu préfères encore ces terrains vagues
Au bonheur qui se repaît vertueusement dans les maisons bourgeoises
Ment habitées Tu es décidément bien perverti
"La Grande Gaîté" - 1929.
Les débuts du fugitif
J'ai abandonné l'espoir à côté d'un mécanisme d'horlogerie
Comme la hache tranchait la dernière minute
Il y avait un grand concours de peuple pour cette exécution capitale
Les enfants juchés sur les épaules
Faisaient de la main des signes de joie et de peur
Dans une autre rue au bord de la mer
La terre tournait dans l'air de la mer
Une fille qui chantait une scie
Montrait un peu sa peau plus douce que la vie
On tuait ferme dans tous les coins
Des chevaux évadés dans les ascenseurs
Riaient comme des personnes humaines
C'était un pays de blessures où soufflaient des vents dévorateurs
Les arbres s'y brisaient dans la main des hommes
Tant l'énervement était général
Comme de simples allumettes
Les gens sortaient de chez eux n'y tenant plus
Comment pouvez-vous revêtir vos habits de la veille
Mettez vos pianos sur le trottoir dans l'attente de la pluie
Est-ce que mourir un jour comme aujourd'hui ne serait pas une grande merveille
La ville où vous viviez la voilà qui s'éloigne
Toute petite dans le souvenir
Passez-moi les jumelles que je regarde une dernière fois
Le linge qui sèche aux fenêtres
Paradis tout est dispersé C'est l'heure
Où plus personne ne peut dire le nom de celui qu'il touche
Jusqu'à la senteur du soir enfin qui m'est étrangère
Comme le papier d'Arménie
Ou une chanson nouvelle que tout le monde connaît déjà
Rien ne m'attache ici pas même l'avenir
Il n'est pas né l'obus qui pourrait me contenir
Que le ciel est petit à la fin des journées
Ses horizons sont faux ses portes condamnées
La lune croit vraiment que les chiens vont la mordre
Je chasse les étoiles avec la main
Mouches nocturnes ne vous abattez pas sur mon coeur
Vous pouvez toujours me crier Fixe
Capitaines de l'habitude et de la nuit
Je m'échappe indéfiniment sous le chapeau de l'infini
Qu'on ne m'attende jamais à mes rendez-vous illusoires
"Le Mouvement perpétuel" - 1925.
Poèmes de cape et d'épée
Les chevaliers de l'ouragan s'accrochent aux volets des boutiques
Ils renversent les boîtes à lait comme de simples mauviettes
Ils tournent autour des têtes
Ils vont nostalgiquement s'appuyer à la boule barbue des coiffeurs
Chevaliers de l'ouragan
Qu'avez-vous fait de vos gants
Au hasard des quartiers qu'ils ébranlent
Ils montent entre les maisons
En haut en bas en haut en haut
Ils soupirent dans les soupentes
Ils soupirent aux soupiraux
Chevaliers de l'ouragan
Mais où avez-vous mis vos gants
L'un s'éloigne l'autre s'approche
Ils sont deux je le vois bien
L'un s'éloigne c'est Saint Sébastien
L'autre s'approche c'est un païen
Chevaliers de l'ouragan
Comme vous êtes intrigants
Saint Sébastien arrache un peu ses flèches
Le païen les ramasse et les lèche
Saint Sébastien porte l'heure à son poignet
Trois heures dix
Chevaliers de l'ouragan
Où où où avez-vous mis vos gants
Hou hou dans les cheminées
Trois heures onze à présent
Il n'y a plus de métro depuis longtemps
Qu'allez-vous chercher dans les caves
Chevaliers de l'ouragan
Auriez-vous perdu vos gants
Ici j'ai mis ma cravate
Me répond Saint Sébastien
Le païen le païen ne dit rien
Il a l'air d'avoir égaré sa cravate ma parole
Chevaliers de l'ouragan
A l'égout s'en vont les gants
L'un regarde le présent
L'autre a des souvenirs dans les oreilles
L'un s'envole et l'autre meurt
La nuit s'ouvre et montre ses jambes
Chevaliers de l'ouragan
Chevaliers extravagants
"Le Mouvement perpétuel" - 1925.
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