Recueil : "La Grande Gaîté" - 1929 (Edition Gallimard)
Vous qui riez
Sans doute que vous trouvez ça drôle
Ce n'est pourtant pas joyeux
Le noyé cheveux dans la merde
Qui suit la Seine et ses poissons
Au son des cloches
Le noyé multicolore au ventre énorme
Le noyé grotesque azur les pieds devant
Boomerang du destin
Croyez-vous vraiment qu'il se marre
Vous qui riez etc
La boue avec ses vieux tickets de métro
Ses rides que les pieds dérangent
Sa puanteur particulière
Tout le trottoir et ses hantises
La boue
Avec ses numéros d'autobus
Ses vieux débris ses déchets de l'instant
Vous qui riez etc
Dans le placard les bottines
Ces deux amnésiques nonnes
Un cheveu tombé sur la moquette
Les bottines
Elles n'ont pas perdu que la mémoire
Elles ont aussi perdu deux ou trois boutons
Vous qui riez etc
Autour des boutiques blondes
Petits hommes sans espoirs
Rôdant avec leurs moustaches
Comme des miroirs brisés
Epient autour des boutiques habituelles
La fruitière la crémière
Et la bonne renvoyée
Vous qui riez etc
Midi roi des étés Tu parles
Tu n'as pas vu le macadam
Le pot de lait concentré qu'on n'achève
Pas mais qui servira pour ce soir avec
Sa mâchoire édentée à la façon des vieillards
Plutôt qu'à celle des tatous
Tu parles
Vous qui riez etc
Des vieillards justement les voici
Assis
Ici
A la terrasse des cafés avec les plus jolies femmes du monde
Ils les pelotent Ils bavent Il sont
Egrillards l'oeil cochon mais rouge le nez
Frémissant et morveux
Les oreilles poilues la peau tachée
De larges plaques brunes et vertes
Ils tirent de temps en temps
Non pas des coups de revolver
Non pas des coup de chapeau à ces jeunes gens qui
reluquent leurs compagnes
Non pas les conséquences d'une vie arrivant à sa fin
Mais leur portefeuille
Et le rentre vite en hoquetant
Vous qui riez etc
Ils pelotent les femmes
Et s'ils se contentaient encore
De les peloter
Mais non
Ils leur racontent des histoires
Ils font les jolis garçons
Ce sont nos pères Messieurs nos pères
Qui trouvent que nous ne leur ressemblons pas
Honnêtes gens qui
Eux
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