Recueil : "La Grande Gaîté" - 1929 (Edition Gallimard)
Cela débuta d'une façon très naturelle
Dans un bordel de la rue de l'Echaudé Saint-Germain
Un fantaisiste était venu brûler ses lettres d'amour
La maçonnerie étant ancienne le feu
Prit à la cheminée Un cordon de flic
Barra la rue et
Devant le Palace Hôtel un taxi s'agenouilla
Ainsi recommença parmi les rouges G7
Le culte aboli de Zoroastre
En plein coeur de Paris
Beauté des sacrifices humains sur les trottoirs de la capitale
Aux étalages des fleuristes
Les automobiles paissaient les premiers lilas
Les bâtons des agents jonchaient les pieds lyriques
Des chauffeurs vêtus de peaux de bêtes comme
Tes enfants ô Caïn
Les accidents rendaient aux femmes des postures mythiques
Je n'oublierai jamais la Léda de la Chaussée d'Antin
Attiré par les clameurs des filles bléssées
On avait vu l'énorme oiseau
Fait à la semblance d'un vit hyperbolique et blanc
Comme son sperme de nuées
Accourir dans le ciel froid du matin
Tourner un instant au-dessus des boulevards cherchant
sa proie
Puis non loin des Galeries Lafayette
Fondre sur une passante étrangement belle
Qui se promenait avec une agitation très spéciale
Froissant un mouchoir prophétique
Sans voir personne
Les yeux démesurés par son destin
La journée passa tout entière
A l'ombre de cet oiseau
Qui fit à Paris sa nuit blanche
On en parlera très longtemps
Tout se comprenait mieux à la lueur blafarde
Qu'il répandait sur les maisons comme une nappe de
cérémonie
Les épouses les maîtresses
Liées par le mensonge et les serments extorqués
Celles qui redoutaient les yeux des autres hommes
Celles qui rêvaient
Celles qui regardaient longuement leurs mains pâles
Celles qui tremblaient
Les pénitentes du miroir
Celles qui se coiffaient pendant des heures
Celles qui restaient au lit tout le matin comme frappées
du tonnerre
Celles qui se prenaient interminablement à contempler
Leur compagnon habituel endormi la bouche
Légèrement ouverte et ronflotant
Les femmes soudain dans cette neige se levèrent
Et sans prendre toutes la peine de s'habiller
Quittèrent leurs maris leurs enfants leurs craintes
Descendirent les escaliers dont la rampe se termine
Par une boule merveilleuse qu'effleura leur main
Puis dans la robe de la ville
Roulèrent leurs corps comme des larmes
Comme les diamants tombés d'un diadème
L'oiseau du haut des toits plongeant
Prenait son plaisir sur l'asphalte Refrain
Ce n'est qu'à l'aurore aux doigts incertains
Que les grands phallus s'éveillèrent
Rassemblement Place Vendôme
La colonne pris la tête de la procession
Elle débaucha les clochers des églises
Dont les couilles se mirent à sonner
Ce fut une belle promenade
Au cours de laquelle tous les ordinaires
Salueurs de drapeaux furent obligés de se découvrir
Une belle promenade
A laquelle se joignirent les véritables désespérés
Une promenade de plusieurs jours
Entre les immeubles neufs les cafés les berges de la Seine
Les maisons leur jetaient des fleurs enflammées
Arrachées à leurs fronts
Mon beau Paris dit la colonne
Tu as le sens irremplaçable de l'amour
Les échos tous les échos lui répondaient
Des chansons sortaient de la bouche des égouts
D'Aubervilliers de Pantin des Lilas
De Malakoff et de Bicêtre venaient des clameurs
Poussées par les fumées
Et les voitures maraîchères entassées dans les Avenues
de l'ouest
Lançaient par manière de plaisanterie
Des carottes aux vieilles prudes du seizième
Et du dix-septième arrondissement
Mais le plus beau moment ce fut lorsqu'entre
Ses jambes de fer écartées
La Tour Eiffel fit voir un sexe féminin
Qu'on ne lui soupçonnait guère
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